« Toit » de la Corse, le Cintu est aussi son plus vaste ensemble montagneux. Sa montagne éponyme, point culminant de l’île, atteint 2706 mètres à 24 kilomètres seulement de la mer. Cependant le Monte Cintu ne se détache pas beaucoup de son massif, lequel s’étire en une longue chaîne d’axe nord-sud qui compte de nombreuses cimes dépassant 2000 mètres d’altitude (1,2 – Depuis la chaîne du San Petrone, le grand massif hercynien apparaît dans toute sa force).
Entre la Punta Radiche (2012 m) et le Capu a u Dente (2029 m) au nord de la Bocca de Tartagine (1852 m), et au sud, le col de Verghju (1477 m) qu’emprunte la RD84 reliant la côte occidentale au centre de la Corse par le Niolu, cette dorsale dresse une muraille quasi infranchissable. La « Grande barrière » rassemble plusieurs des sommets emblématiques qui ont fait la renommée de la montagne corse auprès des alpinistes, des randonneurs et des simples amateurs de beaux paysages : en particulier la Punta Minuta (2556 m) , le Capu Tighjettu (2273 m), la Paglia Orba (2525 m) et le Capu Tafunatu (2335 m) (3-la Grande barrière vue depuis l’embouchure du Fangu sur la côte occidentale de l’île)
Cet axe principal se ramifie en direction du nord-est en deux branches plus ou moins parallèles. La plus septentrionale reste d’altitude relativement modeste en comparaison des crêtes principales du massif. Elle s’étend du cirque de Bonifatu ouvert vers l’ouest sur la magnifique forêt de Bonifatu, sous le Capu Ladroncellu (2145 m), jusqu’au Monte Padru (2390 m) qui articule à l’est les vallées de Tartagine et d’Ascu. De son côté, la branche méridionale porte la ligne de crêtes formée par les plus hauts sommets de l’île : à partir de la Punta Minuta, encore enracinée dans la Grande barrière à l’ouest, se succèdent ainsi le Capu Falu (2540 m), la pointe des éboulis (2607 m) puis le Monte Cintu, que prolongent les crêtes de Selolla, le Capu a u Perdatu (2583 m) et le Capu Biancu (2562 m) ; plus loin vers l’est, ce chaînon s’achève en majesté par les aiguilles de Popolasca (2180 m à la Cima a i Mori) qui surplombent Ponte Leccia et la dépression centrale qui marque la transition entre corse hercynienne et alpine.
Les rhyolites du Cintu aux teintes rouge grisé ou lie-de-vin, correspondant à d’anciens magmas riches en silice, tout comme les ignimbrites issues de cendres fossilisées dont les tonalités plus claires ont sans doute inspiré le nom du Capu Biancu, témoignent de l’origine cataclysmique du massif. Un volcan a explosé ici il y a quelque 250 millions d’années, formant une immense caldeira de 700 km2 qui plonge dans la mer au niveau de Scandula et du golfe de Porto. Aujourd’hui ce cratère d’effondrement n’est plus lisible dans le paysage – hormis aux yeux des géologues –, cependant sa bordure montagneuse arbore encore les couleurs caractéristiques de la roche éruptive. Aujourd’hui, c’est moins le rappel de la catastrophe originelle que le sentiment d’être « ailleurs » qui submerge le marcheur pénétrant dans cet univers de crêtes déchiquetées, de parois à pic, de ravins sans fond et d’éboulis de roche nue, dont le silence n’est rompu que par l’écho métallique des pierres roulant sous ses pas.(4- Les puissantes crêtes du massif du Cintu vues de la Bocca Stazzona (massif du Ritondu) ; à gauche se découpent les sommets caractéristiques du Capu Tafunatu et de la Paglia Orba, surplombant la forêt de Valdu Niellu).
C’est du Niolu ou de la vallée d’Ascu que partent les principales voies d’accès pédestres à cet ensemble de hautes montagnes, très alpin par ses reliefs escarpés à l’extrême. Tous les sommets peuvent être gravis. Mais si quelques-uns sont d’un abord relativement facile – à commencer par le Cintu lui-même –, la plupart exigent une expérience d’alpiniste et une bonne condition physique. Certains tronçons du GR20 qui traverse le massif du nord (crêtes de Muvrella) au sud (col de Verghju) sont également très vertigineux : c’est le cas notamment de la traversée du Cirque de la Solitude (e Cascettoni), entre le « col Perdu » (Bocca Tumaginesca, 2183 m) et la Bocca Minuta (2218 m) ; le passage dans les dalles rocheuses et les éboulis à flanc de falaise, sous la Punta Rossa (ou Pic Von Cube, 2247 m) et la Punta Minuta, est considéré comme l’une des étapes les plus délicates du sentier. Mais parfois l’effort est récompensé par le spectacle des mouflons qui se déplacent en acrobates de vires en falaises (5).
Le massif du Cintu, en effet, est aussi exceptionnel pour sa richesse biologique que pour celle de ses paysages. Il abrite une grande part de la faune alpine de Corse. Outre la plus importante des deux populations de mouflons de l’île (l’autre se trouvant dans le massif de Bavella), plusieurs couples de gypaètes barbus, une espèce de vautour devenue rarissime, vivent dans ces montagnes. Sous le paysage intensément minéral, quasi lunaire, des sommets, les versants présentent une belle diversité d’habitats d’intérêt européen : rivières alpines, landes à genêts endémiques, pozzines, forêts de pins laricio, d’ifs, de genévriers thurifères (habitats forestiers prioritaires), junipéraies à genévrier oxycèdre, aulnaies odorantes…
Bien que les formes du relief gardent l’empreinte des anciens glaciers (6), les lacs d’altitude sont peu nombreux et de dimensions réduites comparés aux ensembles lacustres des autres massifs corses.
On trouve ici de petites pièces d’eau peu visibles dans un univers très minéral (lac d’Argentu, lac Perdu, lac de la Muvrella, et plusieurs mares sans nom), quelques bassins plus conséquents comme le lac du Cintu (2289 m) et le lac Maggiore (2267 m), et seulement deux lacs entourés de pozzines, Ghjarghje Rosse (2175 m) et Occhi Neri (2165 m), ces tourbières étant elles-mêmes de petite superficie et peu typiques dans leur morphologie.
Par ailleurs, s’il reste de nombreux vestiges d’anciennes bergeries, souvent remarquables par leur étendue comme par leur architecture qui se fond dans le paysage, il en reste bien peu encore en activité et les troupeaux sont plus rares que sur les autres massifs qui offrent de meilleurs alpages (7).
Tout au fond de la vallée d’Ascu, presque au fond d’un cirque, quelques bâtiments rappellent la présence d’une station de ski désaffectée ; l’accès à cet ancien stade de neige par l’étroite et sinueuse RD147 n’est pas toujours assuré en hiver…