Cet ensemble montagnard correspond à la haute vallée du Golu, le plus grand fleuve de Corse : le cours d’eau prend sa source au pied de la Paglia Orba, à 2 000 mètres d’altitude, puis franchit près de 90 kilomètres en direction du nord-est pour aller se jeter dans la mer Tyrrhénienne, au sud de l’étang de Biguglia. Niché entre les deux plus importants massifs de l’île – le Cintu au nord et le Ritondu au sud –, le Niolu présente un visage différent de celui des vallées voisines de l’Ascu ou du Tavignanu.
Du col de Verghju (1484 m d’altitude) jusqu’à Corscia (800 m), l’étage supérieur prend en effet la forme d’une ample cuvette façonnée par d’anciens glaciers. Inhabitée dans sa partie amont, domaine de la forêt de Valdu Niellu, cette vallée en auge (ou en « U ») abrite de nombreux villages qui se sont implantés un peu plus bas, là où les pentes sont moins prononcées, les paysages plus ouverts. Les pelouses dominent sur ces versants voués à l’élevage depuis des temps immémoriaux. Dans le fond de cuvette s’est logé le lac de barrage de Calacuccia, devenu un élément fort du paysage (1-2).
C’est seulement en aval de Corscia que la vallée change de profil : ses flancs se resserrent, comme dans l’Ascu tout proche, et le cours d’eau s’enfonce dans le défilé de la Scala di Santa Regina ; après avoir dévalé sur plus huit kilomètres cette tranchée étroite qu’il a ouvert dans la montagne, le Golu débouche à hauteur de Ponte Castirla (345 m) dans le Sillon, la dépression centrale séparant la Corse hercynienne (granitique) de la Corse alpine (schisteuse).
Les changements d’ambiances sont particulièrement saisissants pour le voyageur qui parcoure les étages en sens inverse – donc en remontant le fleuve. L’entrée dans les gorges de la Scala depuis le Sillon le plonge brusquement dans un spectaculaire paysage de montagne. La route se fraye un passage dans un chaos de roches nues, entre deux murailles de granite rouge qui ferment toute perspective et composent un décor sublime mais inquiétant lorsqu’il s’assombrit à la tombée du jour (3).
Dès la sortie du défilé, tout change : l’espace s’ouvre, les pentes amples et douces de la cuvette atténuent la puissance physique des hauts sommets qui la dominent. Malgré l’altitude, la physionomie du Paese di u Niolu évoque la moyenne montagne, et la densité de l’habitat, l’abondance des signes de ruralité, la présence apaisante du lac renforcent cette impression (4).
Au-delà de Calacuccia, le visiteur quitte progressivement ce paysage très humanisé à mesure qu’il gagne de la hauteur, avant d’entrer soudainement dans l’univers forestier de Valdu Niellu dont la lisière semble comme dessinée d’un trait au crayon fin. Les ruptures paysagères conduisent ainsi à distinguer, au sein de l’ensemble, trois unités bien différenciées. Si la route départementale qui la traverse permet de découvrir la haute vallée sous toutes ses facettes, le réseau de voies secondaires desservant les villages offre d’autres points de vue remarquables, en prenant de l’altitude (5-Clairière et fruticée en bordure d’une châtaigneraie clairsemée au second plan ; au fond, émergeant de la forêt, les affleurements rocheux portent les marques d’anciens glaciers descendus des hautes montagnes environnantes).
Jusqu’à l’aménagement de la RD84 au début du XXe siècle, cette région d’élevage est restée enclavée, sinon coupée du reste de l’île. En aval, le défilé de la Scala, à la fois porte et verrou ; sur le flanc nord, les crêtes et les dents du massif du Cintu, culminant à 2710 mètres ; et au sud, le rempart plus régulier des montagnes du Ritondu, constituaient autant d’obstacles isolant le Niolu, comme une forteresse intérieure, une « île dans l’île ». Le col de Verghju, bloqué par la neige six mois par an, offrait la seule voie d’accès vers l’ouest et « l’Au-Delà des Monts », qu’empruntaient les bergers niolins dont les troupeaux transhumaient vers les plaines littorales du Fango ou du Falosorma. La micro région reste aujourd’hui à l’écart des grands flux de circulation, et cet isolement explique sans doute pourquoi les traditions locales, sinon les paysages, ont la réputation d’y être restées plus intactes qu’ailleurs.