Atlas des paysages

de la Corse

3.08 - Haute Vallée du Golu - Niolu

Les communes de l'ensemble paysager

Calacuccia, Corscia, Albertacce, Castirla, Lozzi, Casamaccioli

Cet ensemble montagnard correspond à la haute vallée du Golu, le plus grand fleuve de Corse : le cours d’eau prend sa source au pied de la Paglia Orba, à 2 000 mètres d’altitude, puis franchit près de 90 kilomètres en direction du nord-est pour aller se jeter dans la mer Tyrrhénienne, au sud de l’étang de Biguglia. Niché entre les deux plus importants massifs de l’île – le Cintu au nord et le Ritondu au sud –, le Niolu présente un visage différent de celui des vallées voisines de l’Ascu ou du Tavignanu.
Du col de Verghju (1484 m d’altitude) jusqu’à Corscia (800 m), l’étage supérieur prend en effet la forme d’une ample cuvette façonnée par d’anciens glaciers. Inhabitée dans sa partie amont, domaine de la forêt de Valdu Niellu, cette vallée en auge (ou en « U ») abrite de nombreux villages qui se sont implantés un peu plus bas, là où les pentes sont moins prononcées, les paysages plus ouverts. Les pelouses dominent sur ces versants voués à l’élevage depuis des temps immémoriaux. Dans le fond de cuvette s’est logé le lac de barrage de Calacuccia, devenu un élément fort du paysage (1-2).

C’est seulement en aval de Corscia que la vallée change de profil : ses flancs se resserrent, comme dans l’Ascu tout proche, et le cours d’eau s’enfonce dans le défilé de la Scala di Santa Regina ; après avoir dévalé sur plus huit kilomètres cette tranchée étroite qu’il a ouvert dans la montagne, le Golu débouche à hauteur de Ponte Castirla (345 m) dans le Sillon, la dépression centrale séparant la Corse hercynienne (granitique) de la Corse alpine (schisteuse).
Les changements d’ambiances sont particulièrement saisissants pour le voyageur qui parcoure les étages en sens inverse – donc en remontant le fleuve. L’entrée dans les gorges de la Scala depuis le Sillon le plonge brusquement dans un spectaculaire paysage de montagne. La route se fraye un passage dans un chaos de roches nues, entre deux murailles de granite rouge qui ferment toute perspective et composent un décor sublime mais inquiétant lorsqu’il s’assombrit à la tombée du jour (3).

Dès la sortie du défilé, tout change : l’espace s’ouvre, les pentes amples et douces de la cuvette atténuent la puissance physique des hauts sommets qui la dominent. Malgré l’altitude, la physionomie du Paese di u Niolu évoque la moyenne montagne, et la densité de l’habitat, l’abondance des signes de ruralité, la présence apaisante du lac renforcent cette impression (4).

Au-delà de Calacuccia, le visiteur quitte progressivement ce paysage très humanisé à mesure qu’il gagne de la hauteur, avant d’entrer soudainement dans l’univers forestier de Valdu Niellu dont la lisière semble comme dessinée d’un trait au crayon fin. Les ruptures paysagères conduisent ainsi à distinguer, au sein de l’ensemble, trois unités bien différenciées. Si la route départementale qui la traverse permet de découvrir la haute vallée sous toutes ses facettes, le réseau de voies secondaires desservant les villages offre d’autres points de vue remarquables, en prenant de l’altitude (5-Clairière et fruticée en bordure d’une châtaigneraie clairsemée au second plan ; au fond, émergeant de la forêt, les affleurements rocheux portent les marques d’anciens glaciers descendus des hautes montagnes environnantes).

Jusqu’à l’aménagement de la RD84 au début du XXe siècle, cette région d’élevage est restée enclavée, sinon coupée du reste de l’île. En aval, le défilé de la Scala, à la fois porte et verrou ; sur le flanc nord, les crêtes et les dents du massif du Cintu, culminant à 2710 mètres ; et au sud, le rempart plus régulier des montagnes du Ritondu, constituaient autant d’obstacles isolant le Niolu, comme une forteresse intérieure, une « île dans l’île ». Le col de Verghju, bloqué par la neige six mois par an, offrait la seule voie d’accès vers l’ouest et « l’Au-Delà des Monts », qu’empruntaient les bergers niolins dont les troupeaux transhumaient vers les plaines littorales du Fango ou du Falosorma. La micro région reste aujourd’hui à l’écart des grands flux de circulation, et cet isolement explique sans doute pourquoi les traditions locales, sinon les paysages, ont la réputation d’y être restées plus intactes qu’ailleurs.

Bloc diagramme 3D

Sources - IGN / Ortho HR Janvier 2021 / RGE Alti 2020

3.08

A - Paese di u Niolu

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Unités paysagères

« Alors j’aperçus un surprenant pays. Au-delà d’une autre forêt, une vallée, mais une vallée comme je n’en avais jamais vu, une solitude de pierre longue de dix lieues, creusée entre des montagnes hautes de deux mille mètres et sans un champ, sans un arbre visible. (…) Bientôt nous fûmes au fond de ce trou sauvage et d’une inimaginable beauté. »

Maupassant, Un Bandit corse, 1882

Lorsqu’on accède au Niolu, que ce soit via la Scala ou bien par le haut, sur les pas de Maupassant, c’est toujours au prix d’un certain effort, au terme d’un trajet long et fatigant. Mais la récompense est au rendez-vous : le voyageur se voit soudain projeté dans un « pays clos » dont les paysages sont parfaitement en harmonie avec les hauts reliefs qui l’entourent. Loin de la « sauvagerie » qu’évoque l’écrivain, murets, terrasses, enclos, prairies, vergers, châtaigneraies, bien qu’en partie abandonnés, contribuent à humaniser le cadre naturel et à rendre accueillante cette vallée remaniée par un agropastoralisme millénaire (Jardins, vergers et maisons récentes aux abords du lac de Calacuccia. En toile de fond se détachent quelques sommets remarquables du massif du Cintu : la Punta di Cricce, triangle émergeant de la Paglia Orba, et les dents des Cinque Frati (les cinq frères)).

La rigueur hivernale a conduit à placer les villages et hameaux sur les versants les mieux exposés et donc les plus visibles, entre 800 mètres environ (Corscia, Albertacce, Casamaccioli…) et 1100 mètres d’altitude (Calasima, plus haut hameau permanent de l’île). L’habitat groupé traditionnel leur donne des allures de stations de montagne, où l’on séjourne pour profiter de l’air pur ou préparer de grandes ascensions vers les sommets qui cernent la vallée (Monte Cintu, Cinque Frati, Capu Biancu, Punta Artica…). Cependant, le développement d’un résidentiel de villégiature – outre l’essor des activités tournées vers la nature, de nombreux habitants du littoral construisent des résidences secondaires dans le Niolu – se traduit par une tendance à la dispersion de l’habitat récent hors des noyaux anciens.

Le barrage de Calacuccia, mis en eau en 1968, a profondément transformé le paysage du Niolu. A distance, la vue de ce lac d’une superficie d’une centaine d’hectares renforce la sensation d’être dans un véritable oasis au milieu des montagnes. Lorsqu’on s’en approche, les berges dénudées rappellent le caractère artificiel de la retenue d’eau, créée pour produire de l’énergie hydroélectrique et contribuer à l’irrigation de la plaine orientale.

Les pâturages qui couvrent les pentes du Cintu jusqu’à 1800 mètres attestent de la vitalité de l’économie pastorale. Les troupeaux de brebis et de chèvres ont fortement régressé, et les transhumances avec eux. Mais les élevages de porcs et de bovins se développent autour de Calacuccia et d’Albertacce.

3.08

B - Scala di Santa Regina

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Unités paysagères

« A gauche baignée dans l’ombre violâtre d’où surgissent quelques aiguilles roses, la Scala di Santa Regina se masse et s’enfouit, pleine de mystères. A droite elle flambe. »

Emile Bergerat, La Chasse au mouflon, 1893

« Au soleil, le granit rouge découpé en aiguilles et en clochetons, s’allume d’un feu d’incendie. Nulle verdure n’en vient tempérer l’éclat : sur la roche nue, sculptée par les vents, lavée par les pluies jusqu’au squelette, nulle graine n’a germé, nul arbre n’a pris racine. »

Pierre Morel, La Corse, Arthaud, 1951

La traversée des gorges de la Scala di Santa Regina, qui font partie des paysages emblématiques de l’île, reste aujourd’hui une aventure. Surtout lorsqu’on y croise des camions grumiers chargés de fûts de pins laricio des forêts d’Aïtone ou de Valdu Niellu… Pour franchir ce pas verrouillant l’accès au Niolu, il fallait jadis emprunter, entre Castirla et Corscia, l’étroit sentier muletier accroché à une paroi abrupte atteignant près de 500 mètres par endroits. Aujourd’hui la route et l’ancien chemin ne font plus qu’un en bas du défilé. Mais en partie haute leurs tracés restent distincts. Chacune à leur façon, ces voies témoignent des prodiges d’énergie et d’ingéniosité déployés par les hommes, pour s’affranchir des obstacles naturels en construisant des ouvrages remarquablement intégrés dans leur environnement.

Selon la légende, ce n’est pas la puissance du torrent mais le Diable en personne qui a ouvert cette grande brèche dans la montagne. La Vierge l’a rendue accessible aux hommes en créant un « escalier » (scala) avec les blocs de pierre dévalés des sommets.

Une lame rocheuse verticale, surgissant du fond de vallon à la végétation « luxuriante » : ce type de contraste saisissant donne toute sa force à l’unité paysagère.

La nature semble avoir pétrifié dans les granites rouges de la Scala tout un bestiaire d’animaux imaginaires qu’animent au fil des heures les jeux de l’ombre et de la lumière. La nuit venue, comme pour les remercier d’avoir fait tant d’efforts pour pousser ici, la roche restitue aux genévriers, euphorbes et romarins la chaleur qu’elle stocke pendant la journée. Chaque talweg draine son filet d’eau vers le fleuve, apportant sa quote-part de fraîcheur : on repère ces points d’humidité grâce aux frênes et autres petits arbres qui s’y abreuvent. Les gorges du haut Golu sont inhospitalières pour la végétation comme pour les hommes. Ces derniers ont pourtant cherché à y cultiver la moindre parcelle accessible, comme le rappellent çà et là les restes de terrasses agricoles depuis longtemps abandonnées.

3.08

C - Fôret de Valdu Niellu

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Unités paysagères

En amont des villages d’Albertacce et de Casamaccioli s’élèvent les versants boisés du Valdu Niellu, dominés par les sommets asylvatiques du massif du Ritondu.

Au-delà du col de Verghju, limite entre Haute Corse et Corse du Sud, la route bascule vers la forêt d’Aïtone, Evisa et Porto. C’est par ce col et les sentiers qui y passaient que les bergers transhumaient autrefois, alternant l’estive en montagne (a muntagnera) et le pâturage dans les plaines littorales en hiver (impiaghjera). La transhumance a disparu mais les chemins sont restés, pour le plaisir des randonneurs. Le réseau de sentiers balisés et entretenus offre un choix presque infini d’itinéraires. Tandis que le Mare a Mare nord descend vers la côte occidentale, le GR20 mène au lac de Nino, un autre embranchement conduit aux sources du Golo, au Capu Tafunatu et à la Paglia Orba, etc…

La plus vaste forêt de Corse donne naturellement son nom à l’unité qu’elle revêt de son manteau. En été comme en plein hiver où la neige s’en mêle, les reliefs sommitaux des montagnes émergent de cette couverture arborée à une altitude variable selon leur exposition, avec d’autant plus de force que la végétation capte la lumière, quand la roche la renvoie. Les teintes dominantes sombres de la forêt sont dues au feuillage dense et persistant du pin laricio. La matière végétale est éclairée ponctuellement par de présence de hêtraies mais aussi de bouleaux, une essence assez peu commune en Corse : cette espèce pionnière s’installe dans les clairières, sur les coupes récentes ou aux bords des routes et pistes forestières, et ses variations de couleurs (le blanc lumineux des troncs en hiver, le vert tendre ou le jaune vif de ses frondaisons du printemps à l’automne) marquent les saisons. Les pins de leur côté jouent plutôt sur leur silhouette, droite et élancée dans les vallons aux sols profonds, trapue et tortueuse sur les versants les plus abrupts, et n’hésitent pas à accrocher les nuages ou les brumes pour les associer à l’animation du paysage. L’aulnaie verte apporte aussi sa touche sur les ubacs d’altitude.

Motifs & Enjeux

Aucune donnée définie dans l'atlas
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