Falaises vertigineuses, caps acérés et sommets majestueux…Sur la côte ouest de l’île, entre Galeria et Piana, la hardiesse des reliefs témoigne de la (relative) jeunesse géologique d’un littoral dont le tracé en dents de scie découpe les reliefs attaqués de front par les vagues (1).
La Corse est une « montagne dans la mer » : nulle région insulaire ne justifie mieux ce qualificatif. Sauf qu’ici, la montagne est un volcan, et que les paysages sublimes du Sevi Infora sont nés de la rencontre explosive entre la roche en fusion et la mer (2).
L’ensemble englobe les versants rocheux qui plongent dans les profondeurs de la Méditerranée, depuis la Punta Rossa, point de bascule entre le golfe de Galeria et la presqu’île de Scandula au nord, jusqu’aux Calanches de Piana et au Capu Rossu au sud. A l’est, il s’appuie sur les crêtes, hautes de 700 à 1000 mètres, séparant le bassin versant du Fangu de celui de la Lonca. Il comprend également la vallée de Porto, depuis la côte jusqu’au départ des gorges de la Spelunca, en amont d’Ota. La géologie nous apprend que ces reliefs sont dus à plusieurs épisodes cataclysmiques vieux de 280 à 250 millions d’années, marqués par une succession d’éruptions, de bombements puis d’affaissements, suivis par un gigantesque basculement vers l’ouest et un effondrement général du cratère de l’ancien volcan du Cintu. La région du golfe de Porto recouvre en fait deux structures volcaniques d’âge différent : la première et la plus ancienne se développe depuis le golfe de Galeria jusqu’à la baie d’Elbu ; la seconde, plus récente, centrée sur la presqu’île de Scandula, fait pleinement partie de la caldeira du Cintu (3-4).
L’indescriptible beauté des paysages qui en sont nés a subjugué tous les voyageurs, à l’instar du prince Roland Bonaparte qui s’émerveillait en 1891 devant le golfe de Girolata « ceint tout entier d’une muraille sanglante de granit rouge », mais ne pouvait s’empêcher de trouver celui de Porto encore plus beau, avec ses alternances de roches noires et rouges, ses pentes abruptes couvertes de « cascades de verdure se précipitant vers le golfe aux eaux bleues frangées d’écume ». Le caractère absolument unique de cet ensemble, qui a justifié l’inscription en 1983 de la majeure partie du site sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco, tient à plusieurs facteurs.
L’organisation générale du paysage, d’abord. Toujours admirablement construit, il fusionne d’une façon spectaculaire mais toujours harmonieuse des éléments et des ambiances propres à l’univers de la montagne et d’autres appartenant à celui de la mer.
Au-delà des hauteurs inhabitées de Vetricella-Lonca et de la vallée de Porto, les cimes du massif du Cintu, enneigées en hiver, disparaissent rarement à la vue. Bien que situées en arrière-plan, elles font partie intégrante de ce paysage, qui associe ainsi des premiers plans incomparables à des lointains magistraux. Cet accouplement a engendré un trait de côte extraordinairement mouvementé et sauvage. Les plages y sont rares, de petites dimensions, constituées de sombres galets roulés issus du substrat volcanique. En outre, le bord de mer est peu ou pas accessible depuis la terre ferme. La frange côtière reste ainsi très préservée. Elle se découvre de préférence par la mer, en bateau, le revers de la médaille étant, chaque saison estivale, l’encombrement des golfes de Girolata et de Porto envahis par le trafic maritime de plaisance.
Cet ensemble littoral réunit également plusieurs « grands événements » naturels qui ont contribué à asseoir la notoriété de la Corse et de ses paysages. On trouve sur cette côte des falaises d’une hauteur exceptionnelle en Europe (619 mètres au Capu Seninu). La « folie minérale » de la presqu’île volcanique de Scandula porte encore en elle la violence de la catastrophe qui l’a générée – comme si l’on assistait en direct à sa création, et que la lave venait tout juste de se figer après avoir été plongée et refroidie dans les profondeurs de la mer. Autres événements majeurs : le golfe de Girolata, entaillé dans une gigantesque muraille « de corail, de rubis et de grenat » selon Emile Bergerat, compagnon de voyage du prince Bonaparte, et les Calanche de Piana, merveille naturelle dans laquelle le même Bergerat voyait « une sorte d’éboulement céleste de granits » : «… le vent de la mer use et polit cette avalanche immobile. Il lui prête l’apparence d’un amoncellement colossal d’ossements tombés d’une planète voisine ».
On doit à la géologie ces extraordinaires formations minérales, mais aussi de somptueux jeux de couleurs qui, à eux seuls, suffiraient à faire de ces rivages un paysage d’exception. La rencontre de la mer et du volcan est magnifiée par la diversité et l’intensité de la palette des roches : le rouge sombre des coulées et orgues de rhyolite, ou plus vif des ignimbrites ; le gris brûlé ou le noir des coulées de basalte, alternant avec les teintes plus claires des lahars ; le gris verdâtre des roches métamorphiques les plus anciennes ou l’ocre rose des granites de Piana paraissent encore plus éclatants au contact des verts denses de la végétation et du bleu profond des eaux du golfe de Porto (6-7-8).
L’ambiance générale est cependant donnée par la prépondérance des roches aux tons rouges qui se déclinent en crêtes, falaises, pics, caps, îlots, presqu’îles et calanques, mais aussi en textures et en formes d’érosion propres à stimuler l’imaginaire. « Les rochers pourpres, bruns, orangés, mauves selon qu’ils soient encore éclairés ou, au contraire, déjà près de la nuit, tiennent de la féerie, et selon la qualité de l’air, l’époque de l’année, l’endroit d’où l’on l’admire, au ras de l’eau ou d’un balcon sur le golfe, d’une féerie toujours renouvelée », écrit Robert Colonna d’Istria.
La frange littorale abrite enfin des milieux naturels précieux et fragiles. De nombreuses espèces animales et végétales endémiques ou rares, dont certaines emblématiques, comme le balbuzard pêcheur qui niche sur les vires et pitons en bord de mer, ou le rarissime œillet de Gysperger, trouvent sur les reliefs les plus isolés, peu affectés par la présence humaine, des conditions favorables à leur reproduction. Les tafoni qui festonnent les parois, refuges des oiseaux, reptiles et chauves-souris, se prolongent sous la surface en mille grottes sous-marines où se cachent crustacés, coraux et poissons multicolores, dans l’un des écosystèmes les mieux préservés de Méditerranée. La fraîcheur de certains versants, favorisée par leur exposition, a permis le maintien de forêts de chênes verts relictuelles et de châtaigneraies devenues une rareté en milieu littoral.
Les dispositifs de protection se sont accumulés pour préserver ce patrimoine. C’est ici qu’est née en 1975, en façade maritime du Parc naturel régional de la Corse, la réserve de Scandola, première réserve naturelle de France ayant une double vocation terrestre (919 ha sur la presqu’île et les îlots qui la jouxtent) et marine (1000 ha de fonds marins littoraux). Scandola s’insère dans un espace classé couvrant les golfes de Girolata et de Porto. Le périmètre comprend également plusieurs ZNIEFF, des sites Natura 2000, ainsi que des domaines du Conservatoire du littoral (autour de la baie d’Elbu, sur la rive nord du golfe de Porto, au Capu Rossu). Il ne s’agit pas pour autant d’un territoire sous cloche. Le Sevi Infora est d’abord un espace habité. Sauf Porto et la minuscule marine de Girolata qui ont les pieds dans l’eau, les villages – Piana, Serriera, Partinello, Curzu, Osani – ont tous été implantés en balcon au-dessus de la mer ; depuis chacun d’entre eux une petite route descend jusqu’à une plage en cul-de-sac, étroite fenêtre ouverte sur le rivage (9-10).
Seule localité franchement en retrait de la côte, Ota se cache sur un épaulement intérieur de la vallée de Porto, laquelle assure la transition entre le bord de mer et la haute montagne. Une route traverse l’ensemble dans toute sa longueur : la très touristique RD81, sur la corniche littorale, épouse tous les caprices du relief comme pour mieux ménager des surprises et renouveler l’émotion de la découverte de ces paysages inscrits depuis longtemps dans l’imaginaire collectif.