A l’extrême pointe sud d’une île dont l’armature géologique se compose principalement de formations granitiques, la région de Bonifacio se singularise par la présence d’un plateau calcaire, résultant de la minéralisation de sédiments fossilifères déposés au fond d’une mer depuis longtemps disparue. Ce bloc de sédiments miocènes (entre 18 à 16 millions d’années), flanqué de deux massifs cristallins (les hauteurs de la Trinité – Petra Longa au nord et la presqu’île de Sant’Amanza au sud-est), s’étend sur 31 km², à une altitude moyenne de 90 mètres. Il s’ouvre sur la mer au nord-est, où le calcaire forme la frange ouest du golfe de Sant’Amanza, et surtout au sud, face aux Bouches de Bonifacio : sur cette côte tournée vers la Sardaigne, la planitude du Piale – le causse bonifacien – bascule dans la verticalité de hautes falaises éclatantes de blancheur, percées de grottes et de rias qui témoignent de la force des phénomènes d’érosion (1, 2).
Un long et étroit goulet entaille la muraille de calcaires. D’après certains exégètes de l’œuvre d’Homère, c’est là que les compagnons d’Ulysse auraient fini « harponnés comme des thons » par les géants Lestrygons. « Une double falaise, à pic et sans coupure, se dresse tout autour, et deux caps allongés, qui se font vis-à-vis au devant de l’entrée, en étranglent la bouche », selon l’Odyssée ; « pas de houle en ce creux, pas de flot, pas de ride, partout un calme blanc », le havre naturel offrait pourtant aux navigateurs une escale providentielle à l’abri des colères de la Méditerranée. Le port de Bonifacio est venu se nicher au fond de la calanque. Depuis sa fondation au IXe siècle, la cité surveille le détroit qui porte son nom, entre Corse et Sardaigne. La haute ville médiévale, serrée sur sa corniche, continue aujourd’hui d’imposer sa puissance fortifiée à la ville basse, que prolongent vers l’est les extensions urbaines récentes. S’il a perdu ses fonctions militaires, le port est toujours animé par le trafic des bateaux de pêche et, l’été venu, par la noria des car-ferries et des bateaux des plaisanciers (3).
Le cadre naturel est d’une qualité exceptionnelle, tout comme la citadelle historique et son architecture. A juste titre, Bonifacio est devenu un site emblématique de la Corse, et l’un des plus visités. Mais aux portes de la ville, le plateau bonifacien offre d’autres possibilités de découverte. U Piale présente des traits caractéristiques des causses calcaires (4) : un paysage ouvert, peu habité, avec un relief aux formes adoucies qu’entaillent des ruisseaux aux lits profondément encaissés, le plus souvent à sec ; une végétation de garrigues et de pelouses adaptée à l’aridité des sols, abritant une flore d’une richesse insoupçonnée ; une trame dense de constructions traditionnelles en pierre sèche et de chemins héritée de millénaires d’activité agropastorale. Ce paysage original mais austère se magnifie par de spectaculaires échappées sur la mer, les îles des Bouches de Bonifacio et les rivages sardes. Avec la déprise agricole et le recul de l’élevage, le maquis tend à investir le plateau (5). Quelques cultures (oliveraies, amandiers…) subsistent néanmoins. Cet espace ouvert proche de Bonifacio et d’accès facile est surtout sensible au mitage urbain : depuis plusieurs décennies une urbanisation résidentielle diffuse se développe dans certains secteurs, en particulier aux alentours de la Punta di Speronu. Malgré les efforts d’« intégration paysagère », cette évolution se traduit à la fois par une banalisation du site, une privatisation de l’espace et une fermeture progressive des paysages.