Le massif de Campomoro-Senetosa fait partie des grands espaces naturels littoraux que la Corse a su préserver pour les générations futures, dans une Méditerranée occidentale aux rivages si largement dénaturés. Délimité au nord par le rivage de Belvédère-Campomoro et la vallée du Rizzanese, au sud par la vallée de l’Ortolu, l’ensemble s’étend à l’intérieur jusqu’aux portes de la ville de Sartène. Il englobe les villages ou hameaux de Grossa, Bilia, Giuncheto, ainsi que le hameau littoral de Tizzano, animé par un petit port. Hormis la RD48 reliant Tizzano à Sartène, nulle route ne pénètre profondément dans le massif.
Cet isolement concoure à la préservation d’un territoire qui bénéficie également de la maîtrise foncière exercée par le Conservatoire du littoral sur plus de 2000 hectares, entre Campomoro, Grossa et Tizzano. Les paysages et les ambiances contrastent fortement avec ceux du golfe du Valincu et du bas Rizzanese attenants. Bien que le pôle urbain de Propriano soit tout proche, avec ses zones d’activités, son trafic portuaire, son animation tournée vers la mer et le tourisme balnéaire, ou peut-être en raison même de cette proximité, le temps paraît ici comme suspendu. Soudain la route s’arrête, et le visiteur entre dans une immense étendue de nature formant comme une image originelle du paysage méditerranéen (1-2-3).
De la pointe de Campomoro jusqu’au golfe de Murtoli et sa grande plage de sable, la côte rocheuse déroule un chapelet de récifs, de pointes et de caps, protégeant des criques roses et rondes comme des coquillages. Plateformes d’abrasion marine, blocs de granite sculptés par l’érosion, genévriers tortueux, maquis brossé et vertes pelouses littorales : sur une scène longue de plus de trente kilomètres, ces éléments s’interpellent et se répondent dans un dialogue sans cesse renouvelé (4).
La côte ne perd son caractère sauvage qu’à hauteur de la « fenêtre » de Tizzano-Tralicetu, marine de la ville de Sartène et seule localité habitée en bord de mer entre Campomoro et le golfe de Figari, où se développe une urbanisation résidentielle disparate et désordonnée. Cette façade maritime presque intégralement préservée s’appuie sur un vaste « pays intérieur ». A l’ouest la Méditerranée immense, et face à elle, comme une autre mer, a macchja, la houle des maquis, enveloppe et submerge les versants. La dense couverture végétale s’ouvre seulement sur la frange intérieure de l’ensemble, où une activité agricole se maintient dans les vallons autour des villages et dans le haut des vallées littorales de Conca et de l’Ortolu. La valeur de ce grand paysage réside moins dans l’effet « carte postale», que dans son amplitude. Ici pas de montagnes tombant dans la mer, à la manière vertigineuse du Cap Corse ou du golfe de Porto. Le relief n’est pas dans la verticalité (439 m d’altitude au Capo di Locu, point le plus élevé), mais plutôt dans la profondeur. Cependant, un peu comme dans la haute montagne ou en pleine mer, les éléments naturels – à commencer par le vent – s’expriment avec une telle force qu’ils imposent une certaine humilité.
Le regard peut aujourd’hui s’échapper sans rencontrer la moindre trace de construction ou d’aménagement récents. La mémoire d’une très longue occupation humaine reste pourtant inscrite dans le territoire. Sites préhistoriques (dolmen et alignements de pierres dressées du plateau de Cauria, alignements de Palaghju, Punta d’Apazzu, Alo Bisughje…), chapelles médiévales et tours génoises, sans oublier les innombrables vestiges de l’ancienne économie agropastorale (bergeries, terrasses, murets, aghje, réserves à grains, abris aménagés sous roche ou dans des taffoni…) disséminés dans le maquis : tout ici nous rappelle qu’en Corse, comme partout ailleurs en Méditerranée, il n’existe plus d’espaces « vierges », les paysages ont été modelés par les générations qui s’y sont succédé. Dans le domaine protégé par le Conservatoire du littoral, un réseau de sentiers discrètement aménagés permet une découverte sensible de ces lieux de mémoire laissés dans leur écrin naturel.