Atlas des paysages

de la Corse

2.02 - Agriate

Les communes de l'ensemble paysager

Santo-Pietro-Di-Tenda, San-Gavino-Di-Tenda, Saint-Florent, Palasca, Rapale

Au nord-ouest de l’île, entre Balagne et Cap Corse, la côte s’arrondit : cette convexité correspond au massif littoral de l’Agriate, immense croupe de granite et de maquis qui s’avance dans la Méditerranée, dans le prolongement des reliefs du Tenda. Bien qu’il s’ouvre largement sur la mer, et qu’il s’étage du niveau des plages jusqu’à près de 500 mètres d’altitude – 479 m à la Cima d’Ifana, point le plus haut –, l’ensemble n’a pas la forme d’un amphithéâtre de montagnes incliné vers le rivage, comme le Nebbiu voisin. Sa géomorphologie complexe et tourmentée imbrique vallées étroites et plateaux ouverts, chaos rocheux et crêtes acérées, sommets émoussés et cimes déchiquetées (1-Vue du massif depuis les crêtes du Cap Corse).

Le versant oriental, culminant au Monte Revincu (356 m), domine les paysages du Nebbiu et du golfe de Saint-Florent, auxquels il participe pleinement. A l’ouest, une ligne de crêtes descendant du Monte Astu sépare l’Agriate du bassin et de l’embouchure de l’Ostriconi. Le temps semble s’arrêter lorsque l’on entre dans ce vaste territoire presque inhabité. Aucune route goudronnée n’y pénètre. Sur le flanc sud, la sinueuse RD81 qui relie Saint Florent à l’Île Rousse borde la région davantage qu’elle ne la traverse. Seules voies d’accès à l’intérieur du massif : de mauvaises pistes dont les ornières et la poussière découragent la plupart des automobilistes, ou bien le sentier du littoral, aménagé sur toute la longueur de la façade maritime pour la randonnée pédestre. Il en résulte un paysage naturel d’une épaisseur exceptionnelle en bord de mer à si grande échelle. L’Agriate ne se livre pas, ne se laisse pas parcourir ni lire facilement. Comme dans la haute montagne, il faut s’y engager, et prendre peut-être le risque de s’y perdre, pour qu’il dévoile sa géographie secrète (2).

S’agit-il pour autant d’un « désert » ? Les cartes géographiques et les guides touristiques en mal d’exotisme ont officialisé ce toponyme inventé par des voyageurs anglais de la Belle époque. Le qualificatif est trompeur. Il existe bien quelques dunes à l’arrière des plages. Mais pour le reste, l’Agriate n’évoque en rien le Sahara. On y trouve de vastes étendues de maquis dense, où dominent oliviers sauvages, lentisques, arbousiers et bruyères sur les sols les plus riches, et les cistes dans les secteurs les plus rocheux (3).

On peut aussi y découvrir une forêt de pins d’Alep unique en Corse, des peuplements de chênes verts au creux des vallons, des prairies pâturées sur les replats, et des espaces cultivés dans les plaines en aval de Casta – seul hameau habité de façon permanente. Des rivières intermittentes y ont creusé leurs lits qu’ombragent des ripisylves (aulnes, saules, peupliers) apportant de surprenantes touches de fraîcheur. Près du rivage, ces cours d’eau alimentent des zones humides où se sont développés de précieux écosystèmes. Cette diversité récuse le singulier : l’Agriate (plutôt que « les Agriate » ou « les Agriates »), nom féminin pluriel en langue corse, traduit bien le caractère composite de ce territoire au sein duquel on peut néanmoins distinguer deux grands sous-ensembles. Entre la plage de l’Ostriconi, à l’ouest, et celle de Fornali à l’est, la frange littorale comprise entre la mer et les premières crêtes s’ouvre sur une côte rocheuse sauvage. Ce rivage découpé et abrupt, tapissé par endroits de placages dunaires fossilisés, s’abaisse épisodiquement pour laisser place à de petites criques (4).

A l’embouchure des rivières les dépôts sédimentaires ont donné naissance à de belles plages de sable fin (Lotu, Saleccia, Trave, Ghignu), protégeant des marais d’eau douce et de petits étangs lagunaires. Le sentier du littoral, qui suit sur 37 km les détours de la côte sans croiser une construction récente, est la meilleure façon de découvrir ces paysages qui paraissent intacts comme au premier matin du monde (5).

Les ambiances de l’Agriate intérieur sont plus rudes, et sans doute plus impressionnantes. Le « squelette de la terre » est ici souvent mis à nu, sous la forme de spectaculaires chaos de granite d’où émergent des sommets isolés (inselbergs) sculptés par l’érosion (6).

Dans d’autres secteurs, ce sont au contraire les vagues du maquis qui submergent les reliefs, dont l’on devine les mouvements plutôt qu’on ne les voit. Quelques dépressions – plateau de Teti et plaine de Saleccia au nord de Casta, vallées du Liscu et de Terricie-Tettu à l’ouest du massif… – maintiennent des espaces ouverts au cœur du labyrinthe minéral que surplombe la pyramide du Monte Jenuva (421 m), pivot et emblème de l’Agriate. La RD81 (le « balcon de l’Agriate »), offre sur 36 km des vues saisissantes sur ces paysages, avec par temps clair la mer et le Cap corse en fond de décor. Ni le sol, ni le climat ne vouaient à l’abandon un territoire dont le nom évoque l’agriculture et la fertilité (Agriate vient du latin ager, « champ cultivé »). La région a été habitée dès le néolithique. A l’époque génoise on y pratiquait l’élevage et la culture des céréales, de la vigne et de l’olivier. C’est avec la déprise rurale du début du XXe siècle que ces terres, travaillées par des générations de paysans venus des régions limitrophes (Giussani, Ascu, Nebbiu, Cap Corse), ont perdu leur valeur agricole. Outre un peu d’élevage, il reste aujourd’hui quelques exploitations dans les plaines de Casta-Teti (vignes, vergers, oliveraies) et de Saleccia (prairies, luzernières). Il subsiste aussi, sur les reliefs (Monte Jenuva, Monte Revincu), en bord de mer (Ghignu, Mortella…) ou dans les replis de l’intérieur (Chiosu, Ifana, Terriccie…), d’innombrables et émouvants vestiges de cette présence humaine remontant à la préhistoire. Les collectivités locales ont choisi de mettre définitivement à l’abri ce haut lieu de mémoire et de nature, tout en l’ouvrant au public : plus de 5500 hectares au nord de la RD81, incluant l’intégralité de la bande côtière, ont été acquis par le Conservatoire du littoral et inscrits au titre de la loi de 1930 ; ce territoire protégé s’adosse à 5500 autres hectares de terrains communaux, pour former le plus vaste espace naturel littoral en France.

Références bibliographiques

Jean-Michel Casta, illustrations de Fabien Seignobos, Les Agriate, collection « Conservatoire du littoral », Actes sud – Dexia éditions, 2001.

Agriate : projet de territoire, Conseil général de Haute-Corse – Conservatoire du littoral, 2008.

Alain Freytet, Plan d’aménagement pour l’Agriate, Conservatoire du littoral, 2008.

Bloc diagramme 3D

Sources - IGN / Ortho HR Janvier 2021 / RGE Alti 2020

2.02

A - Côte de Saleccia-Fornali

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Unités paysagères

Porte orientale de l’Agriate littoral, l’anse de Fornali est le point de départ des promenades et randonnées depuis Saint-Florent. Jusqu’à la Punta di Curza, la côte n’est pas tournée vers le large, mais vers le Cap Corse et le golfe de Saint-Florent. L’horizon fermé donne l’impression d’être au bord d’un lac, tandis que la présence de maisons sur l’autre rive rappelle la proximité de la station balnéaire.

Le Monte Revincu domine le golfe de Saint Florent. Sur son versant sud, les archéologues ont mis à jour une nécropole de l’Age du Bronze unique en Méditerranée. Une quarantaine de constructions mégalithiques ont été recensées sur ce site vieux de 6000 ans. Selon la légende, le dolmen connu sous le nom de a Casa di u lurcu (« la Maison de l’ogre ») fut édifié par un géant mi-homme mi-bête qui terrorisait la population, s’attaquant au bétail et buvant le sang des jeunes gens. Les villageois parvinrent à s’en débarrasser, non sans avoir obtenu auparavant qu’il leur livre le secret de la fabrication du brocciu. Beaucoup d’autres vestiges préhistoriques jalonnent l’espace de l’Agriate, du sommet du Monte Jenuva jusqu’aux cols menant vers le Nebbiu ou les pâturages du massif de Tenda.

Le sentier côtier traverse les embouchures de plusieurs petits cours d’eau, associées à leurs marais d’arrière-plage, avant de rejoindre la Punta Mortella couronnée par un phare. Sous le promontoire, une tour génoise a les pieds dans l’eau : c’est la tour de la Mortella, à demi ruinée depuis son bombardement en 1794 par la flotte anglaise de Nelson.

Derrière l’immense ruban blanc de la plage de Saleccia se succèdent plusieurs milieux naturels précieux et fragiles. A commencer par les dunes, plantées de genévriers et d’un exceptionnel boisement de pins d’Alep. En arrière du cordon littoral, une lagune à roselière occupe l’embouchure du Liscu. Ses eaux saumâtres, via les marais d’eau douce de Panecalellu et de Cannuta, communiquent avec celles de l’étang du Lotu, formant un riche écosystème et un paysage de zone humide qui rehaussent les perspectives de la plaine de Saleccia.

Dans les concavités de la côte rocheuse nichent des plages blondes aux eaux turquoise. Si les sables fins du Lotu ou de Saleccia sont très fréquentés chaque été (l’anse du Lotu est desservie par des navettes maritimes depuis Saint-Florent), le reste de l’année le rivage se prête aux robinsonnades.

2.02

B - Côte de l’Acciolu-Malfalcu

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Unités paysagères

Les laboureurs et les bergers de l’Agriate étaient aussi des bâtisseurs. Ils ont édifié sur ce territoire quelque deux cents paillers ou pagliaghj, isolés ou regroupés en hameaux, toujours merveilleusement intégrés dans le paysage. Ces modestes abris en pierre sèche, construits selon des techniques maîtrisées en Méditerranée depuis la préhistoire, étaient voués à disparaître sans un programme de restauration qui a permis de donner une seconde vie à une partie de ce patrimoine. A Ghignu, près de Malfalcu, une douzaine de pagliaghj ont été ainsi sobrement aménagés pour offrir un gîte d’étape aux randonneurs sur le sentier du littoral.

Derrière les falaises rouges de l’Acciolu et de la Punta Liatoghju s’étendent de vastes espaces de maquis aux formes arrondies. Ces lieux abritent d’anciens hameaux de bergers (Terricie, Luogu Pianu, Chiosu…) qui transmettent la mémoire de l’ancienne vie rurale.

2.02

C - Plateaux de Casta

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Unités paysagères

« Des rochers espacés et de formes bizarres, creusés de taffoni, émergent du maquis maigre, composant un paysage d’une rare aridité qui ne s’humanise qu’aux approches de Casta où apparaissent quelques chênes verts et quelques vignes. »

La nature en France : Corse, 1975.

Dans la partie orientale de l’Agriate intérieur, une série de plateaux étagés fait la jonction entre la frange littorale et les contreforts du massif de Tenda. Le champ de tir de Casta occupe une partie de ces « marches » que traverse la RD81.

Le petit village de Casta, avec ses maisons dispersées, est la seule localité de l’Agriate habitée de façon permanente. Certains anciens racontent encore qu’aux alentours, les oliveraies jadis étaient si denses, avec des arbres dont beaucoup dépassaient plusieurs siècles, que l’on pouvait parcourir des kilomètres sans voir le ciel, à l’abri du vent…*. Le plateau autour du village continue d’être mis en valeur sous la forme d’un parcellaire agricole émietté, principalement des vergers et de vignes. Plus bas, dans la plaine de Teti, la plus vaste de la région, le maquis reconquiert un paysage de grandes prairies et de cultures aujourd’hui abandonnées.

*Jean-Michel Casta, Les Agriate

 

2.02

D - Massif intérieur de l’Agriate

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Unités paysagères

Les reliefs de l’Agriate sont formés de gneiss ou de granites taraudés et patinés par l’érosion. Il en résulte une couleur de roche particulière, ocre-orangé, et une texture minérale également unique, associant de grandes masses granitiques à une dentelle de pierre constituée d’une myriade de micro taffoni – cavités creusées par le vent et la pluie –, sans formations d’échelle intermédiaire. A certaines heures de la journée, de ce décor minéral se détachent des silhouettes fantasmagoriques qui semblent s’animer, et qui expliquent pourquoi;;;

« ici plus qu’ailleurs, la nature, l’histoire et la légende se mêlent intimement »

Jean-Michel Casta, Les Agriate, 2001

Le Monte Jenuva, montagne tutélaire, présente de tous côtés une silhouette exceptionnelle qui accroche le regard en tout point de l’horizon. Depuis le sommet, la vue aérienne embrasse l’ensemble du paysage.

Bien que point culminant de la région, la Cima d’Ifana joue la modestie, au milieu du moutonnement des collines. Entre ce sommet et la Bocca di Vezzu se loge l’une de ces vallées discrètes de l’Agriate intérieur, où l’on perd tout sens de la relation à la mer pourtant si proche. C’est là, en fond de vallée, que le domaine d’Ifana s’est établi avant 1780, à l’époque génoise. Autour de la grande maison de maître avec ses dépendances, remises et bergeries, les parcelles de culture, oliveraies, vergers et terres de parcours d’élevage sont encore lisibles dans le paysage. Le site appartient désormais au Conservatoire du littoral, il accueille un éleveur et fait l’objet d’un projet de valorisation patrimoniale.

Motifs & Enjeux

Aucune donnée définie dans l'atlas
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