Venant de Calvi par la route côtière qui longe la façade nord-ouest de la Corse, bien avant d’arriver à Porto, après 33 kilomètres d’un parcours épousant les sinuosités du littoral, la vue plonge sur le golfe de Galeria. En premier plan, une longue plage sur laquelle veille une tour génoise ruinée, sépare les vagues de la Méditerranée des eaux dormantes du delta du Fangu. Par-delà l’étendue lumineuse de la plaine alluviale, l’échancrure vert sombre de la vallée, avec en toile de fond les lignes bleutées des sommets du massif du Cintu, enneigés tard dans la saison. Et sur l’autre rive, le petit port de Galeria, adossé à un promontoire derrière lequel apparaît, telle la proue d’un majestueux vaisseau de granite, la silhouette brumeuse des falaises de Scandula. C’est peu dire que le tableau est à couper le souffle : le paysage exprime avec une force bouleversante l’identité duelle de cette île, à la fois montagnarde et marine (1-2).
Bien que rattachée géographiquement à la Balagne (on parle parfois de « Balagne déserte »), la vallée du Fangu s’en détache par une ligne de crête qui descend de la Punta Minuta (2556 m), sous le Monte Cintu, passe par la Punta a u Corbu (1123 m) et plonge dans la mer à la Punta di Ciuttone. Au sud, elle s’appuie sur le massif littoral de Scandula puis sur les reliefs qui s’élèvent jusqu’au Capu Tafunatu (2335 m) en franchissant deux cols : la Bocca a Palmarella (408 m), voie de passage de la RD81 vers Porto, et la Bocca di Caprunale (1329 m) inaccessible en voiture. Cette courte mais puissante vallée – plus de 2500 mètres de dénivelé sur une distance d’une vingtaine de kilomètres de la source du fleuve à son embouchure – met en relation directe la haute montagne et le littoral (3).
La haute vallée, ou Falasorma, forme un vaste cirque subdivisé en plusieurs vallons secondaires, que dominent les crêtes et les cimes de la barrière du Cintu. Ces reliefs l’isolent de territoires pourtant tout proches géographiquement, comme la vallée de l’Ascu ou le Niolu. Aucune route n’y conduit : la RD351 qui remonte le cours du Fangu s’arrête à hauteur du hameau de Monte Estremo, si bien nommé. Au-delà, les chemins suivent les anciennes voies de transhumance, désormais empruntées par les randonneurs. L’ambiance est ici totalement montagnarde. Accrochés aux falaises abruptes et aux escarpements de rhyolite dont la couleur rouge dévoile l’origine volcanique, des pins laricio hors d’âge se dressent vers le ciel, cherchant l’horizon, comme autant d’invites à poursuivre l’ascension (4-5).
Depuis ce cirque, le Fangu dévale vers la mer en taillant droit dans la roche vive. L’étroitesse de l’entaille n’autorise que ponctuellement la formation d’une ripisylve. Tout au long de son tumultueux parcours, le fleuve alterne néanmoins les passages en gorges et des séquences plus ouvertes à proximité des hameaux, où d’anciennes terrasses alluviales ont permis de cultiver quelques vergers et jardins. Maisons et terrasses occupent les versants exposés au sud (en rive droite), tapissés d’un maquis dégradé, tandis qu’un manteau forestier habille les versants nord. Dans la forêt domaniale du Fangu qui ombrage la plus grande partie de la rive gauche, les pins mésogéens et les chênes verts ont remplacé les larici de l’étage supérieur. La yeuseraie de Pirio, notamment, l’une des plus belles d’Europe, abrite une exceptionnelle population de vieux arbres ; elle constitue un vestige d’une forêt de chênes verts jadis bien plus étendue en Méditerranée (6-7-8).
La vallée ne s’ouvre qu’à l’approche de la mer. Après avoir traversé de petits reliefs tapissés d’une mosaïque de maquis secs, de bois de chênes verts et d’anciennes oliveraies en partie détruites par les incendies, le Fangu ralentit sa course dans une plaine de galets roulés depuis les sommets. Puis il débouche sur le petit golfe de Galeria, qui accueille l’une des rares plages de cette côte rocheuse accidentée. Un cordon de galets barre l’embouchure : derrière la plage, dans les méandres alanguis du fleuve, les îlots aux contours incertains disparaissent sous une végétation dense comme celle d’un bayou. L’atmosphère est ombreuse et humide, bien peu méditerranéenne. Non seulement le fleuve fait naître une diversité d’habitats naturels liés à la permanence de l’eau, mais il constitue un vecteur de dissémination d’espèces végétales et animales qui vivent d’ordinaire plus en altitude. Ainsi, la zone humide abrite une remarquable aulnaie marécageuse. Ces arbres fréquents en Corse en montagne et le long des cours d’eau forment rarement, comme ici, une véritable forêt (9).
Le village de Galeria s’est niché au sud du golfe, au pied de la Punta Muvrareccia (11).
Sa situation le protège aussi bien des vents d’ouest que des crues du fleuve. C’est le seul village en bord de mer entre Porto et Calvi, et le seul véritable bourg dans l’ensemble peu habité du Fangu Falosorma. L’isolement de la vallée, la très faible présence humaine, mais aussi la diversité des milieux nés des influences conjointes de la mer et de la montagne, ont conduit à faire de ce territoire – inclus dans le périmètre du Parc naturel régional de Corse – un extraordinaire conservatoire d’espaces naturels d’intérêt patrimonial. Toute la frange littorale jusqu’aux premières lignes de reliefs est inscrite au titre de la loi de 1930. Le Conservatoire du littoral protège la plage et une partie de l’embouchure du Fangu jusqu’au pont des Cinq Arcades. L’ensemble de la vallée, sur les communes de Manso et de Galeria, a été par ailleurs classé « réserve de biosphère » (site Man and Biosphere) par l’Unesco. La zone concernée s’étend sur 23 400 hectares étagés entre le niveau de la mer et la haute montagne. Elle intègre les herbiers de posidonies de la baie de Galeria, la plaine alluviale du fleuve avec sa zone humide, la forêt de chênes verts de Pirio, ainsi que toutes les formes de maquis corse jusqu’à 900 mètres d’altitude, et sur les versants montagneux, les futaies de pins laricio de la forêt du FIlosorma.