L’ensemble Bastia Marana s’organise sur un axe nord-sud, entre le rivage de la mer Tyrrhénienne et les crêtes qui relient la racine du Cap Corse aux piémonts de la Castagniccia. L’entité articule deux univers très différents : la partie nord se rattache au Cap, tandis que la plaine et les versants de la Marana font partie de la plaine orientale. L’unité du paysage est donnée par les premiers hauts sommets de la Serra di Pignu et l’urbanisation bastiaise, visibles de partout. Il existe par ailleurs une continuité de perception depuis les contreforts de la Castagniccia jusqu’à la ville. Les grands motifs (montagne plaine, étang, côte) convergent tous vers la citadelle de Bastia, juchée sur son éperon comme l’accroche sommitale de la plaine de la Marana.
Autre trait singulier, cet ensemble réunit l’un des principaux secteurs d’urbanisation de la Corse, l’agglomération bastiaise, et l’un de ses écosystèmes majeurs, l’étang de Biguglia. Ce dernier apparaît comme le grand monument naturel de cette partie de l’île. Vu depuis la montagne et le piémont, l’étang semble appartenir à deux mondes : celui de la mer, par sa surface d’eau et la plaine qui la prolonge ; et celui de la terre, à travers les rivières et les ruisseaux qui lient la lagune à la montagne et le cordon littoral qui la sépare de la mer. Il est exceptionnel de pouvoir bénéficier depuis la terre ferme de telles vues sur une plaine littorale et son système lagunaire. Les villages des versants les ont pour spectacle permanent. La présence de la ville et la pression urbaine présentent quant à elles une gradation qui s’exprime dans l’occupation du sol et diminue en allant vers le sud. L’urbanisation se développe selon un double mouvement. Depuis Bastia et la RN 193, elle monte en nappe vers les collines qui prennent un caractère de campagne habitée ; et elle s’étend le long du littoral, où l’espace constructible est extrêmement étroit, avec une dominante de villégiature touristico-balnéaire.
L’ensemble se construit ainsi autour de deux systèmes d’organisation de l’espace et des circulations. Le premier est géographique, avec l’étang et ses cours d’eau et canaux qui l’alimentent (convergence naturelle) ; le deuxième est lié à l’homme, avec Bastia, son réseau de dessertes routières, ses extensions périurbaines. L’expansion du second tend à effacer les éléments et motifs du réseau hydrique naturel (vallons, cours d’eau, ripisylves…). Ces deux grands systèmes structurants s’ignorent le plus souvent. Les jets de l’aéroport de Bastia-Poretta et les oiseaux aquatiques qui fréquentent la lagune se côtoient presque à se toucher, sans faire grand cas les uns des autres.
La principale dynamique paysagère reste néanmoins le jeu d’échanges entre les versants montagneux et la plaine avec sa piaghja, entre la verticale et l’horizontale. Ce contraste entre deux mouvements antagonistes fait partie des formes attendues des paysages corses, mais il prend ici une intensité particulière. Les liens visuels s’établissent transversalement, entre plaine et montagne. Mais ces éléments ne s’opposent pas, chacun forme un fond qui met l’autre en valeur ; ils entrent en résonance, à la manière des chjame è rispondi, ces joutes poétiques improvisées dans lesquelles deux chanteurs tour à tour s’appellent et se répondent. Un dialogue subtil, néanmoins troublé par la présence du « couloir urbain » qui occupe la charnière entre le plan vertical et le plan horizontal.