L’ensemble recouvre deux grandes vallées fluvio-glaciaires qui descendent en parallèle des montagnes de la Corse centrale pour converger tardivement à l’approche de la mer. La Gravona et le Prunelli, qui les arrosent, se jettent dans le golfe d’Ajaccio après avoir fertilisé la plaine de Campu dell’Oru, aux portes mêmes de la ville. Outre leurs dimensions comparables, la proximité de leurs sources dans le massif du Renosu et leur embouchure commune, les deux vallées partagent une même orientation nord-est sud-ouest, soulignée par une très longue ligne de crêtes mitoyenne dont l’altitude s’abaisse progressivement du Renosu (2352 m) jusqu’au Monte Aragnascu (888 m) (1-Une partie des crêtes vues depuis les environs de Mezzana). Autre point commun entre les deux bassins : les liens unissant leurs villages, proches géographiquement les uns des autres, et historiquement reliés par les voies d’échanges qui passaient par les chemins des cols (Scalella, San Petru…) ; les communes s’efforcent aujourd’hui de réactiver ses liaisons transversales que le développement du réseau routier et l’attraction de la ville d’Ajaccio avaient conduits à délaisser. Enfin, en rapprochant la montagne de la mer par une forme de raccourci paysager, les vallées de la Gravona et du Prunelli font toutes deux ressortir fortement le contraste entre un littoral investi par l’homme, urbanisé, en constante mutation, et un « pays intérieur » resté plus naturel et comme soustrait au passage du temps. Une immobilité trompeuse : du fait de l’extension d’une périurbanisation diffuse à partir du bord de mer, d’une part, et des déséquilibres induits par le déclin de la vie rurale traditionnelle dans les villages de montagne, d’autre part, c’est bien l’ensemble de ces paysages et de leurs interactions qui se transforment progressivement.
La vallée de la Gravona prend naissance au col de Vizzavona (1163 m), point de jonction entre les massifs du Monte d’Oru et du Monte Renosu et lieu passage « stratégique » entre le littoral et le cœur de l’île. La RN193 et le chemin de fer remontent le couloir naturel de la vallée jusqu’à ce col, où elles basculent dans la vallée du Vecchju, vers Corte et Bastia. Un parcours qui permet de découvrir l’enchaînement des séquences paysagères : à la campagne habitée proche de la ville et du littoral, succède la moyenne montagne avec ses villages nichés sur les replats des versants (souvent derrière des crêtes secondaires qui les masquent à la vue depuis la plaine et le golfe d’Ajaccio), puis la haute montagne où le relief impose toute sa puissance tandis que l’empreinte humaine s’efface. Paradoxalement, c’est dans cette haute vallée que les tracés sinueux des voies et les ouvrages routiers et ferroviaires, dégagés du couvert végétal, participent le plus fortement au paysage. On retrouve le même enchaînement dans les étages de végétation : la plaine cultivée en aval laissant place à un maquis de plus en plus dense, puis aux forêts de montagne en amont – avec toutefois un couvert végétal toujours plus abondant en rive gauche orographique.
D’une manière générale, la physionomie du bassin versant se caractérise en effet par un contraste marqué entre ses deux rives. Le flanc exposé au nord-ouest montre une dominante forestière. Dans la partie amont de la vallée (vallée du Celavu), c’est sur ce versant plus vert et plus frais qu’ont été implantés tous les villages, à l’exception notable de Vero. La diversité des essences à feuilles caduques y contribue à l’animation du paysage au rythme de saisons. La rive droite tournée vers le sud-est est beaucoup plus sèche. Le pin maritime prédomine dans un couvert forestier plus pauvre, car plus sensible au feu et donc plus dégradé par les incendies. La roche mère affleure un peu partout, et cette mise à jour du minéral donne l’impression que la montagne s’avance plus loin en direction du golfe d’Ajaccio (2-Vue d’ensemble de la vallée depuis les crêtes menant du col de Vizzavona à la Punta dell’Oriente).
Les ambiances paysagères changent toutefois dans la partie basse de la vallée (vallée de Mezzana). La rupture s’opère au niveau du jeu de lignes de crêtes secondaires qui barrent le couloir de la Gravona, entre la Punta Sant’Eliseo (1271 m) au-dessus de Tavaco, et les crêtes de Falconaccia (1093 m) et d’Aculone (1404 m) au-dessus de Peri. En aval le bassin s’élargit, un jeu de collines et d’ondulations se met en place, la montagne s’éloigne et le contraste entre les versants s’atténue. Mais c’est surtout la présence de l’habitat dispersé, de plus en plus ostensible en descendant la vallée, qui modifie ici les perceptions. Elle rend plus difficiles la lecture et la compréhension des lieux et des espaces. En gagnant sur les espaces agricoles – prairies et bocages, vignes, vergers remarquables d’amandiers, de figuiers, d’oliviers ou d’agrumes – cet habitat diffus perturbe leur géométrie, contrarie les palettes de teintes, brouille les profils ondulés des lignes d’horizon. On sent très nettement l’approche d’un grand pôle urbain. La plupart des villages anciens, plus haut sur les versants, tentent d’échapper à ces évolutions en s’efforçant de concilier développement et préservation d’une certaine authenticité. Ceux de la rive droite, plus proches d’Ajaccio, on plus de mal à y parvenir. Les implantations de constructions récentes entre les noyaux denses historiques ont pour effet immédiat de casser la cohérence paysagère des hameaux et ensembles bâtis anciens.
De son côté, la vallée du Prunelli prend sa source dans le lac de Vitalaca (1946 m), sous le sommet du Monte Renosu. Ce bassin versant se distingue de celui de la Gravona par sa morphologie et sa structure paysagère plus complexes, qui rendent sa découverte moins évidente. Le Prunelli se fraie un chemin dans un substrat granitique très résistant, où il creuse une vallée plus étroite, plus abrupte que sa voisine. Si le contraste entre les versants reste marqué, le profil de cette vallée change fréquemment et de nombreux reliefs et vallons secondaires viennent la compartimenter : d’où la formation d’unités paysagères qui se succèdent plus qu’elles ne s’enchaînent (3). En amont, l’ambiance est proche de celle de la haute vallée de la Gravona. Cependant le paysage très harmonieux du cirque de Bastelica rend moins directement perceptible la proximité immédiate de la haute montagne. Les dimensions du village éponyme révèlent l’importance de ce bassin de vie. Tout autour de Bastelica les reliefs sont revêtus d’un manteau de châtaigniers et de feuillus caducs, les hêtres matérialisant un peu plus haut la limite avec l’ensemble montagneux du Renosu. Le cirque se ferme en aval par une série de verrous rocheux, entaillés par des gorges encaissées. Le bassin du Prunelli se subdivise à ce niveau en deux vallées aux morphologies différentes, desservies par deux routes.
Le Prunelli, grossi par le torrent d’Ese, poursuit son chemin en se faufilant dans ces gorges étroites où passe aussi la RD3 qui relie Bastelica à la plaine et à Bastelicaccia, l’ancienne extension du village de montagne sur la piaghja. Dans cette unité les visuels se resserrent, tandis que le relief s’anime : la roche se fait plus présente sous forme d’éperons, de pics, de falaises, de canyons et de défilés avec lesquels la végétation compose des tableaux variés à l’extrême et souvent surprenants. Depuis 1956, le barrage de Tolla construit à 552 mètres d’altitude contrôle les crues du Prunelli et régule l’irrigation de la basse vallée agricole. Le vaste lac artificiel a modifié le profil des gorges, tout en créant un événement majeur dans le paysage. En suspendant l’écoulement de la rivière, la retenue ménage une pause à la fois temporelle et spatiale. L’espace ouvert du plan d’eau, son calme reposant, les effets de lumière ou de miroir à sa surface exacerbent les formes et les textures des reliefs environnants, tout en entretenant un riche dialogue avec eux (4). Le village de Tolla semble posé sur sa rive nord comme sur le flanc de lac de cratère volcanique. Sous le barrage, le village d’Ocana dans son décor minéral regarde vers Bastelicaccia et la plaine de Campu dell’Oru.
L’unité des coteaux de Prunelli recouvre une vallée secondaire, appuyée au sud-est sur les crêtes qui s’inclinent de la Punta di Mantelluciu (1679 m) vers le Capu di Muru et la mer, en séparant le bassin versant du Prunelli de celui du Taravu. Une ligne de reliefs moins élevés l’isole de la vallée principale du Prunelli, de la Punta di Bassatone (924 m) qui domine le lac de Tolla, à la Punta di San Martinu (538 m) en aval de laquelle les deux vallées confluent. La vallée est arrosée dans sa partie haute par un affluent du Prunelli (ruisseau de Partella), qui prend sa source sous la Punta di Forca d’Olmu (1601 m), dans un ravin d’altitude d’accès difficile, très surprenant par son dessin en entaille profonde parfaitement rectiligne. Plus bas le relief s’adoucit. Le paysage se caractérise par l’importance de la couverture forestière – des forêts de pins jusqu’à la yeuseraie –, laissant place au maquis en partie basse, où la vallée rejoint l’embouchure du Prunelli. Partiellement cultivée en fond de vallée, l’unité est très peu habitée : elle ne compte qu’un village (Cauro) et de rares hameaux. La RD24 la remonte jusqu’au col de Crichetu où la route bascule vers la cuvette de Bastelica.