Atlas des paysages

de la Corse

3.16 - Vallées de la Gravona et du Prunelli

Les communes de l'ensemble paysager

Tolla, Ucciani, Vero, Carbuccia, Peri, Tavaco, Ocana, Tavera, Li Cuttoli-Corticchiato, Bastelica, Cauro, Sarrola-Carcopino, Valle-Di-Mezzana, Bocognano, Albitreccia, Grosseto-Prugna, Eccica-Suarella, Bastelicaccia

L’ensemble recouvre deux grandes vallées fluvio-glaciaires qui descendent en parallèle des montagnes de la Corse centrale pour converger tardivement à l’approche de la mer. La Gravona et le Prunelli, qui les arrosent, se jettent dans le golfe d’Ajaccio après avoir fertilisé la plaine de Campu dell’Oru, aux portes mêmes de la ville. Outre leurs dimensions comparables, la proximité de leurs sources dans le massif du Renosu et leur embouchure commune, les deux vallées partagent une même orientation nord-est sud-ouest, soulignée par une très longue ligne de crêtes mitoyenne dont l’altitude s’abaisse progressivement du Renosu (2352 m) jusqu’au Monte Aragnascu (888 m) (1-Une partie des crêtes vues depuis les environs de Mezzana). Autre point commun entre les deux bassins : les liens unissant leurs villages, proches géographiquement les uns des autres, et historiquement reliés par les voies d’échanges qui passaient par les chemins des cols (Scalella, San Petru…) ; les communes s’efforcent aujourd’hui de réactiver ses liaisons transversales que le développement du réseau routier et l’attraction de la ville d’Ajaccio avaient conduits à délaisser. Enfin, en rapprochant la montagne de la mer par une forme de raccourci paysager, les vallées de la Gravona et du Prunelli font toutes deux ressortir fortement le contraste entre un littoral investi par l’homme, urbanisé, en constante mutation, et un « pays intérieur » resté plus naturel et comme soustrait au passage du temps. Une immobilité trompeuse : du fait de l’extension d’une périurbanisation diffuse à partir du bord de mer, d’une part, et des déséquilibres induits par le déclin de la vie rurale traditionnelle dans les villages de montagne, d’autre part, c’est bien l’ensemble de ces paysages et de leurs interactions qui se transforment progressivement.

La vallée de la Gravona prend naissance au col de Vizzavona (1163 m), point de jonction entre les massifs du Monte d’Oru et du Monte Renosu et lieu passage « stratégique » entre le littoral et le cœur de l’île. La RN193 et le chemin de fer remontent le couloir naturel de la vallée jusqu’à ce col, où elles basculent dans la vallée du Vecchju, vers Corte et Bastia. Un parcours qui permet de découvrir l’enchaînement des séquences paysagères : à la campagne habitée proche de la ville et du littoral, succède la moyenne montagne avec ses villages nichés sur les replats des versants (souvent derrière des crêtes secondaires qui les masquent à la vue depuis la plaine et le golfe d’Ajaccio), puis la haute montagne où le relief impose toute sa puissance tandis que l’empreinte humaine s’efface. Paradoxalement, c’est dans cette haute vallée que les tracés sinueux des voies et les ouvrages routiers et ferroviaires, dégagés du couvert végétal, participent le plus fortement au paysage. On retrouve le même enchaînement dans les étages de végétation : la plaine cultivée en aval laissant place à un maquis de plus en plus dense, puis aux forêts de montagne en amont – avec toutefois un couvert végétal toujours plus abondant en rive gauche orographique.
D’une manière générale, la physionomie du bassin versant se caractérise en effet par un contraste marqué entre ses deux rives. Le flanc exposé au nord-ouest montre une dominante forestière. Dans la partie amont de la vallée (vallée du Celavu), c’est sur ce versant plus vert et plus frais qu’ont été implantés tous les villages, à l’exception notable de Vero. La diversité des essences à feuilles caduques y contribue à l’animation du paysage au rythme de saisons. La rive droite tournée vers le sud-est est beaucoup plus sèche. Le pin maritime prédomine dans un couvert forestier plus pauvre, car plus sensible au feu et donc plus dégradé par les incendies. La roche mère affleure un peu partout, et cette mise à jour du minéral donne l’impression que la montagne s’avance plus loin en direction du golfe d’Ajaccio (2-Vue d’ensemble de la vallée depuis les crêtes menant du col de Vizzavona à la Punta dell’Oriente).

Les ambiances paysagères changent toutefois dans la partie basse de la vallée (vallée de Mezzana). La rupture s’opère au niveau du jeu de lignes de crêtes secondaires qui barrent le couloir de la Gravona, entre la Punta Sant’Eliseo (1271 m) au-dessus de Tavaco, et les crêtes de Falconaccia (1093 m) et d’Aculone (1404 m) au-dessus de Peri. En aval le bassin s’élargit, un jeu de collines et d’ondulations se met en place, la montagne s’éloigne et le contraste entre les versants s’atténue. Mais c’est surtout la présence de l’habitat dispersé, de plus en plus ostensible en descendant la vallée, qui modifie ici les perceptions. Elle rend plus difficiles la lecture et la compréhension des lieux et des espaces. En gagnant sur les espaces agricoles – prairies et bocages, vignes, vergers remarquables d’amandiers, de figuiers, d’oliviers ou d’agrumes – cet habitat diffus perturbe leur géométrie, contrarie les palettes de teintes, brouille les profils ondulés des lignes d’horizon. On sent très nettement l’approche d’un grand pôle urbain. La plupart des villages anciens, plus haut sur les versants, tentent d’échapper à ces évolutions en s’efforçant de concilier développement et préservation d’une certaine authenticité. Ceux de la rive droite, plus proches d’Ajaccio, on plus de mal à y parvenir. Les implantations de constructions récentes entre les noyaux denses historiques ont pour effet immédiat de casser la cohérence paysagère des hameaux et ensembles bâtis anciens.
De son côté, la vallée du Prunelli prend sa source dans le lac de Vitalaca (1946 m), sous le sommet du Monte Renosu. Ce bassin versant se distingue de celui de la Gravona par sa morphologie et sa structure paysagère plus complexes, qui rendent sa découverte moins évidente. Le Prunelli se fraie un chemin dans un substrat granitique très résistant, où il creuse une vallée plus étroite, plus abrupte que sa voisine. Si le contraste entre les versants reste marqué, le profil de cette vallée change fréquemment et de nombreux reliefs et vallons secondaires viennent la compartimenter : d’où la formation d’unités paysagères qui se succèdent plus qu’elles ne s’enchaînent (3). En amont, l’ambiance est proche de celle de la haute vallée de la Gravona. Cependant le paysage très harmonieux du cirque de Bastelica rend moins directement perceptible la proximité immédiate de la haute montagne. Les dimensions du village éponyme révèlent l’importance de ce bassin de vie. Tout autour de Bastelica les reliefs sont revêtus d’un manteau de châtaigniers et de feuillus caducs, les hêtres matérialisant un peu plus haut la limite avec l’ensemble montagneux du Renosu. Le cirque se ferme en aval par une série de verrous rocheux, entaillés par des gorges encaissées. Le bassin du Prunelli se subdivise à ce niveau en deux vallées aux morphologies différentes, desservies par deux routes.

Le Prunelli, grossi par le torrent d’Ese, poursuit son chemin en se faufilant dans ces gorges étroites où passe aussi la RD3 qui relie Bastelica à la plaine et à Bastelicaccia, l’ancienne extension du village de montagne sur la piaghja. Dans cette unité les visuels se resserrent, tandis que le relief s’anime : la roche se fait plus présente sous forme d’éperons, de pics, de falaises, de canyons et de défilés avec lesquels la végétation compose des tableaux variés à l’extrême et souvent surprenants. Depuis 1956, le barrage de Tolla construit à 552 mètres d’altitude contrôle les crues du Prunelli et régule l’irrigation de la basse vallée agricole. Le vaste lac artificiel a modifié le profil des gorges, tout en créant un événement majeur dans le paysage. En suspendant l’écoulement de la rivière, la retenue ménage une pause à la fois temporelle et spatiale. L’espace ouvert du plan d’eau, son calme reposant, les effets de lumière ou de miroir à sa surface exacerbent les formes et les textures des reliefs environnants, tout en entretenant un riche dialogue avec eux (4). Le village de Tolla semble posé sur sa rive nord comme sur le flanc de lac de cratère volcanique. Sous le barrage, le village d’Ocana dans son décor minéral regarde vers Bastelicaccia et la plaine de Campu dell’Oru.

L’unité des coteaux de Prunelli recouvre une vallée secondaire, appuyée au sud-est sur les crêtes qui s’inclinent de la Punta di Mantelluciu (1679 m) vers le Capu di Muru et la mer, en séparant le bassin versant du Prunelli de celui du Taravu. Une ligne de reliefs moins élevés l’isole de la vallée principale du Prunelli, de la Punta di Bassatone (924 m) qui domine le lac de Tolla, à la Punta di San Martinu (538 m) en aval de laquelle les deux vallées confluent. La vallée est arrosée dans sa partie haute par un affluent du Prunelli (ruisseau de Partella), qui prend sa source sous la Punta di Forca d’Olmu (1601 m), dans un ravin d’altitude d’accès difficile, très surprenant par son dessin en entaille profonde parfaitement rectiligne. Plus bas le relief s’adoucit. Le paysage se caractérise par l’importance de la couverture forestière – des forêts de pins jusqu’à la yeuseraie –, laissant place au maquis en partie basse, où la vallée rejoint l’embouchure du Prunelli. Partiellement cultivée en fond de vallée, l’unité est très peu habitée : elle ne compte qu’un village (Cauro) et de rares hameaux. La RD24 la remonte jusqu’au col de Crichetu où la route bascule vers la cuvette de Bastelica.

Bloc diagramme 3D

Sources - IGN / Ortho HR Janvier 2021 / RGE Alti 2020

3.16

A - Vallée du Celavu

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Unités paysagères

Dans la haute vallée de la Gravona, la présence des sommets placés en avant-poste des massifs du Monte d’Oru et du Renosu donne le ton du paysage. L’unité est ainsi fermée par une ligne de crêtes qui monte au nord-ouest de la Punta Sant’Eliseo (1271 m) jusqu’à la Punta a i Novi (1451 m), passe sous la Punta Migliarellu (2254 m) puis s’abaisse vers l’est au col de Vizzavona (1163 m), surplombé par la belle pyramide du Monte d’Oru. De l’autre côté, la limite de l’unité suit les versants du Monte Renosu, jusqu’à la Punta a u Picchiu (1649 m) sous lequel la cascade remarquable du « Voile de la mariée » tombe de 70 mètres ; puis elle s’abaisse vers la Punta Tirulettu (1541 m).

A mesure que la RN193 grimpe en lacets vers le col de Vizzavona, la vallée se rétrécit tout en se ramifiant en vallons secondaires, tandis que les perspectives visuelles se resserrent. La route ne traverse aucun village : elle évite Carbuccia, Ucciani et Tavera, édifiés sur des épaulements de la rive gauche, où mènent des voies départementales ; et depuis l’aménagement récent d’une déviation, la nationale ne traverse plus Bocognano, le dernier bourg avant le col. La voie ferrée Ajaccio-Corte suit à peu près le même chemin sinueux, jusqu’au tunnel qui lui permet de traverser la montagne en passant sous le col de Vizzavona.

Le versant opposé est à la fois plus doux et plus ombragé. C’est là que se sont installés les villages, entourés de châtaigniers associés à des chênes pubescents ou à des frênes. Plus haut s’étend la forêt de pins mésogéens, elle-même relayée par des hêtraies d’altitude, notamment au col de Vizzavona. Un mélange d’essences qui offre d’extraordinaires palettes de couleurs changeant au fil de saisons (Sur le cliché, village d’Ucciani).

Le contraste est saisissant entre les rives de la vallée. Le versant exposé au sud, très raide et presque partout inaccessible sauf par les sentiers pédestres, est couvert d’un maquis dense en partie basse, surmonté d’abrupts rocheux écrasants qui projettent déjà le visiteur dans une ambiance de haute montagne. En aval, la RD4 permet de le franchir pour relier la vallée du Cruzini par Vero et la Bocca di Tartavellu (885 m). Mais en amont la muraille devient impénétrable. Le spectacle est particulièrement impressionnant depuis les hameaux de Bocognano : face au village, les parois minérales de la Punta Feniccia (1691 m), de la Punta Laccione (1982 m) et de la Punta Migliarellu (2254 m) dressent leur écrasante verticalité. Les gorges de la Richiusa, avec leurs vasques d’eau cristalline, se cachent dans un repli de cette forteresse de granite (La vallée depuis le col de Vizzavona ; par temps clair le regard porte jusqu’à Ajaccio et son golfe).

3.16

B - Vallée de Mezzana

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Unités paysagères

Cette unité correspond à la partie basse de la vallée de la Gravona, avant son débouché sur la plaine de Campu dell’Oru et la jonction avec le Prunelli. Les perspectives sont ici très ouvertes, bornées seulement par les hauteurs qui séparent la vallée des bassins voisins du Cruzinu et du Prunelli. De ces crêtes se détache le rocher rouge des Gozzi, « marqueur paysager » commun à toute la plaine d’Ajaccio. Quelques reliefs secondaires constitués d’anciennes moraines glaciaires animent le fond de vallée de part et d’autre de la rivière, dont la végétation masque le cours.

A partir de la RN193 qui grimpe vers le fond de la vallée, Bocognano et le col de Vizzavona, des voies départementales desservent les versants. En rive droite orographique, elles rejoignent les villages de Mezzana, Sarrola Carcopino et Tavaco, encore bien circonscrits sur des pentes escarpées où la rocaille dispute la place au maquis plus ou moins dégradé.

Sous la pyramide du Monte Falcunaju (1093 m), le noyau du village de Peri a préservé son caractère traditionnel.

La plaine bocagère dans la « campagne d’Ajaccio », un paysage remarquable en voie de disparition.

Bien qu’aux alentours de certains villages apparaisse parfois un habitat récent diffus, c’est surtout en fond de vallée et en pieds de versants que se multiplient les signes d’un processus de mitage. Dans la plaine de Peraccia, l’agriculture (prairies, pâtures, vergers sur terrasses et quelques cultures de labour, ponctués de bosquets de chênes) a créé un paysage de « campagne habitée » qui se voit peu à peu déstructuré par la progression de la périurbanisation autour d’Ajaccio.

L’habitat diffus s’étale en fond de vallée, tandis que les versants sont encore à peu près préservés.

3.16

C - Cirque du Prunelli

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Unités paysagères

La partie amont de la vallée du Prunelli forme un vaste cirque de montagne englobant, outre la cuvette de Bastelica, le vallon de l’Ajara et la haute vallée du Montichi (forêt de Pineta). Il s’agit d’une unité à forte dominante naturelle, dont les atmosphères variées reflètent les contrastes d’altitudes et d’expositions. En rive gauche du Prunelli les hêtraies succèdent aux châtaigniers à partir de 1000 mètres. Les pins laricio prédominent sur les versants boisés de l’Ajara (site des cascades d’Ortala) et dans la forêt domaniale de Pineta, où ils se mêlent à des essences secondaires (cèdre, chêne vert, aunes, peuplier…) qui viennent diversifier les jeux d’ambiances végétales. Si la haute montagne reste invisible depuis la cuvette, celle-ci est le départ de nombreux sentiers menant vers les lacs, les pozzine et les pâturages d’altitude du massif du Renosu.

L’espace ouvert en fond de cuvette était propice à l’implantation humaine : c’est là, à 770 mètres d’altitude, que s’est développé Bastelica, un gros bourg de montagne né du regroupement de six hameaux. La commune s’étendait autrefois sur toute la vallée jusqu’à Bastelicaccia, aux portes d’Ajaccio, où se trouvaient les pâturages d’hiver. La transhumance a disparu avec le déclin de l’agropastoralisme. Mais le tourisme de nature a pris le relais, comme l’atteste la présence d’hôtels-restaurants, d’un camping et de gîtes dans le village de Bastelica qui se déploie en amphithéâtre avec son décor de terrasses plantées de jardins ou de vergers.

3.16

D - Gorges du Prunelli

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Unités paysagères

Le lac de barrage de Tolla qui occupe le fond de vallée au-dessous des gorges du Prunelli constitue l’événement majeur de l’unité. La mise en eau du barrage a totalement transformé le paysage local. Elle a également permis une valorisation touristique du site (camping, base de loisirs nautiques) plutôt bien intégrée dans son environnement.

Sous le verrou rocheux qui sert d’appui au barrage, un maquis haut a envahi les versants après la déprise agricole. Quelques cultures subsistent en terrasses et sur de rares replats laissés par le relief autour du village d’Ocana. Un peu plus bas, le vallon de Ritonda que traverse la RD3 offre une échappée visuelle sur la basse vallée du Prunelli et le golfe d’Ajaccio.

Le village de Tolla placé en position dominante entretient un riche rapport visuel avec le plan d’eau. Les rives boisées du lac sont en grande partie inaccessibles. Sur les versants du cirque montagneux qui l’entoure pousse un maquis à arbousier et bruyère, relayé par de belles châtaigneraies dans les vallons frais, et en altitude, par des pâturages et des landes à genévrier.

En amont du lac, le lit du Prunelli s’encaisse fortement. Maquis, landes à genévrier, pâturages et rochers composent un paysage sauvage adouci par la présence de châtaigniers au bas des versants. La RD3 franchit les gorges au-delà desquelles s’ouvre le bassin de Bastelica.

3.16

E - Coteaux du Prunelli

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Unités paysagères

Cette vallée perchée et au faciès dissymétrique, parallèle à la vallée principale du Prunelli, vient s’appuyer sur une ligne de crêtes majeure séparant les bassins versants du Taravu et du Prunelli. La RD27 remonte une partie de ce couloir dont le fond ample est cultivé (prairies, céréales). La végétation des versants, reflétant les différences d’exposition, accentue le contraste des paysages. Dans la partie haute de la vallée, la forêt domaniale de Santa Maria Siche enveloppe les coteaux tournés vers le nord (ubac), tandis que le flanc sud (adret) est abrupt et rocailleux.

Au-dessous de Cauro, la forêt et les cultures laissent place au maquis. Les vallons de Grosseto Prugna qui convergent vers la basse vallée du Prunelli sont quasiment inhabités.

Motifs & Enjeux

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