Ensemble carrefour, le Cortenais l’est à plus d’un titre. Et d’abord par sa position géographique au centre de la Corse, moins exposée que celle des cités littorales et néanmoins stratégique – car point de passage obligé sur les grands axes de communication intérieurs : les liaisons vers Bastia, la côte ouest, la plaine orientale et Ajaccio convergent ici –, qui a fait de Corte la capitale historique de l’île et la plaque tournante des échanges insulaires (1-La ville historique et la citadelle de Corte sur son rocher).
Ce territoire adossé aux hautes montagnes constitue également un espace charnière sur le plan paysager, car correspondant à une zone de rencontre entre les grandes structures géomorphologiques de l’île. A l’ouest et au sud, U Curtinese se rattache au socle cristallin (granites et roches volcaniques), vieux de plus de 250 millions d’années, qui porte les grands reliefs de la Corse dite hercynienne. Au nord-est, il est un prolongement de la Corse alpine, constituée de nappes de schistes lustrés d’origine sédimentaire et de roches vertes (ophiolites) issues de l’ancienne croûte océanique, charriées sur le socle granitique au moment de la formation des Alpes. Entre ces flancs montagneux, la plaine du Tavignanu fait partie du « sillon », la grande dépression centrale dont les sols se composent de sédiments d’âges variés (2 – Les versants de la Corse alpine : de gauche à droite, les vallons di u Curtinese, le Monte Tomboni, les vallons du Feo, et au pied des pentes i Piani, en partie urbanisé. 3 – La large plaine ouverte du Tavignanu, vue depuis le belvédère d’Erbajolo ; en arrière plan la ville de Corte sous la masse écrasante du Capu Neru (1790 m) et de la Punta Finosa (1855 m)).
La contiguïté géologique se manifeste par la diversité des affleurements, cristallins, métamorphiques ou sédimentaires selon les lieux. Elle se révèle notamment par la présence de nombreux placages sur les granites : en particulier, sur les premières pentes du Monte Cardu, les fameuses « écailles de Corte », couches calcaires fortement redressées dont est extrait le marbre de Corte. C’est aussi ce caractère de « zone de contact » qui donne à l’ensemble son profil asymétrique. A l’ouest, la suture entre les contreforts des massifs granitiques (Monte Cardu 2453 m, Monte Ritondu 2622 m) et la plaine se traduit par des abrupts marqués, des crêtes prononcées, avec des dénivelés pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres. C’est là que débouchent, directement descendues des sommets, la haute vallée du Tavignanu et les vallées majeures creusées dans la montagne par ses affluents, la Restonica et le Vecchiu. Les collines peu élevées de la plaine alluvionnaire et les vallons taillés à l’est dans les derniers versants de la corse schisteuse (Monte Tomboni, pentes du Boziu) présentent des reliefs aux formes à la fois plus douces et plus complexes. Le resserrement de la plaine du Tavignanu à hauteur du pont d’Altiani marque la limite sud-est de l’ensemble. Enfin, au nord, le Sillon se matérialise sous la forme de deux petites lignes de fracture parallèles – les vallées de l’Orta et du Bistugliu – encadrant des reliefs constitués de matériaux divers, dont des granites. La voie ferrée Ajaccio-Bastia et la RN193 grimpent une série de talwegs dans la vallée du Bistugliu pour aller franchir la ligne de partage des eaux entre Tavignanu et Golu au niveau du col de San Quilicu (559 m) (4-l’échancrure des vallons di u Curtinese, visible à gauche du Monte Tomboni qui toise de ses 1062 mètres la plaine urbanisée de Corte).
La végétation variée reflète cette diversité de substrats, de reliefs mais aussi d’expositions. Avec leurs boisements de chênes, et plus hauts de châtaigniers, les flancs du Cardu qui regardent vers le nord, sont nettement plus verdoyants que la plaine et les vallons de la rive opposée, couverts d’un maquis bas à ciste et à bruyère, de landes et de pelouses sèches brûlés, parsemés de quelques arbres (chênes lièges principalement). Au fil des saisons, le paysage compose ses harmonies dans une gamme très large de couleurs allant du vert tendre aux camaïeux de jaunes et de roux de la végétation brûlée par le soleil.
Un autre trait caractéristique de l’ensemble réside dans son ouverture. Aucun relief au milieu de celui-ci ne vient borner ou fermer les perspectives. Depuis les points hauts périphériques, en particulier depuis les balcons routiers de la RN193 et les villages accrochés aux versants du Cardu, le regard embrasse le territoire dans sa quasi globalité, en offrant des panoramas remarquables sur Corte. L’arrivée sur la ville depuis Ajaccio est particulièrement saisissante : elle souligne le contraste entre la ville haute, avec le nid d’aigle de la citadelle et la montagne en toile de fond, et le paysage plus doux de la large plaine du Tavignanu. Inversement, depuis la citadelle la vue à 360° englobe la vieille ville, la plaine et leur spectaculaire cortège de montagnes.
L’habitat se concentre dans l’agglomération de Corte et le chapelet des villages des contreforts du Cardu. Seuls Tralonca, caché derrière le Monte Tomboni, et Erbajolo en surplomb de la plaine sont implantés sur les versants opposés. La plupart de ces villages sont situés sur des crêtes et promontoires, en position dominante, participant ainsi à la beauté des lieux. Le pôle urbain de Corte et sa concentration d’activités et d’emplois ont longtemps capté les forces vives de la micro région, transformant les bourgs voisins en « villages dortoirs ». Cette tendance s’atténue aujourd’hui et les communes s’efforcent de retrouver une dynamique de développement autonome. Néanmoins les zones d’activités artisanales et commerciales continuent de s’étendre rapidement en aval de Corte, dans l’axe du Tavignanu et de la RN200 menant à Aleria. La maîtrise de cette « périurbanisation » est sans doute le principal enjeu dans cet ensemble. Il importe notamment de préserver les vues existantes sur les motifs naturels (ripisylves, grands boisements à chêne vert et chêne liège, prairies bocagères à murs de clôture en galets…), ce qui implique de privilégier un développement par « noyaux urbains » plutôt que linéaire. Les entrées de ville gagneraient également à être plus soignées : en particulier au sud (RN193 depuis Ajaccio) et à l’est (RN200), la multiplication des tendus, poteaux et panneaux publicitaires tend à masquer ou à perturber les perspectives sur la citadelle et la montagne.