A l’est de Porto, entre Falasorma (vallée du Fangu) au nord et Deux-Sorru au sud, le Sevi Ingretu (Sevi intérieur) est constitué de trois vallées à peu près parallèles. Orienté sud-ouest – nord-est, l’ensemble s’adosse d’un côté au Sevi Infora, dont les crêtes surplombent le golfe de Porto, et vient s’appuyer de l’autre côté sur les hauts reliefs du massif du Cintu (1).
La vallée la plus septentrionale recouvre le bassin versant de la Lonca, affluent de la rivière de Porto. Elle est coupée visuellement et physiquement des vallées d’Ota et de Porto par le haut verrou rocheux qui garde l’entrée des gorges de Spelunca. Etroite et pentue en aval, la cuvette de la Lonca s’ouvre en partie haute, au pied de la haute montagne : nous sommes ici sur les versants sud de la chaîne de sommets qui mène droit au Monte Cintu, via le Capu Tafunatu et la Paglia Orba. Aucune route ne vient rompre l’isolement de cette vallée perchée ni la tranquillité de ses paysages naturels.
Au centre, séparée de la Lonca par une crête culminant au Capu a Cuculla (2049 m), la vallée d’Aïtone, où coule la rivière éponyme, relie Porto et Ota au col de Verghju en passant par Evisa. C’est une voie de passage majeure entre la côte occidentale et l’intérieur de l’île : passé le col de Verghju, brèche ouverte entre les massifs du Cintu et du Ritondu, la RD84 bascule vers le Niolu et le sillon central. La vallée d’Aïtone se subdivise en trois étages, correspondant à autant de sites emblématiques des paysages insulaires. Dans la partie la plus basse, les eaux réunies de l’Aïtone et de la Tavulella ont creusé les gorges de Spelunca, grandiose et vertigineuse percée dans la masse du granite. La RD84 qui serpente au-dessus du défilé dégage de belles vues sur le golfe de Porto. Plus haut, Evisa, haut lieu de la montagne corse, a tourné le dos au chaos de Spelunca pour se développer sur un replat du versant ensoleillé. Le minéral s’efface ici derrière la châtaigneraie qui ceint le village et semble le protéger en tenant les reliefs à distance. Au-dessus du bourg commence le domaine du pin laricio et du hêtre : c’est la forêt d’Aïtone, l’une des plus belles et des plus vastes de Corse (2400 ha), annonçant l’approche de la haute montagne. La RD84 n’émerge de cet océan végétal qu’au débouché du col de Verghju.
Au sud, la vallée de Tavulella, comme ses voisines, est isolée des vallées littorales par la présence d’un verrou rocheux. Elle n’est que partiellement desservie par la route menant aux villages de Marignana et Cristinacce. On retrouve ici la châtaigneraie autour des noyaux d’habitation, mais en amont, les prairies extensives et les pâturages ont remplacé la forêt. Celle-ci subsiste sous la forme de hêtraies relictuelles accrochées sous les crêtes qui descendent du massif du Ritondu (2 – La moyenne vallée de la Tavulella vue depuis le sentier de Marignana à Tassu. On distingue au fond le village de Cristinacce).
L’ensemble se caractérise ainsi par la répétition, sous trois variantes, d’une séquence typique de la transition entre la moyenne et la haute montagne. Des gorges étroites entaillent la barrière montagneuse, et donnent accès à une vallée glaciaire au profil plus ouvert, où les paysages se transforment progressivement en fonction de l’occupation des sols et de l’altitude. C’est aussi par ce type de vallées pénétrantes que le bord de mer communique avec les sommets. Le Sevi ingrentu fait partie de ces maillons clés, de ces espaces géographiques et paysagers majeurs qui assurent l’articulation entre la Corse littorale et celle des montagnes. Sa découverte est favorisée par l’existence d’un réseau dense de chemins de randonnée, dont beaucoup perpétuent le tracé des anciennes voies de transhumance qu’empruntaient bergers et troupeaux (3-4).