Atlas des paysages

de la Corse

2.01 - Cap Corse

Les communes de l'ensemble paysager

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Les Romains avaient baptisé « Promontoire sacré » cette presqu’île qui prolonge la Corse comme un doigt tendu dans le golfe de Gênes. Dans le Cap Corse, de Bastia à Saint-Florent en passant par Macinaggio et Centuri, on retrouve à échelle réduite le contraste entre les deux côtes, orientale et occidentale, caractéristique du relief insulaire. On y retrouve aussi, plus fortement exprimée qu’en d’autres lieux, cette relation étroite de proximité et de confrontation entre la mer et le montagne qui est une marque de fabrique des paysages corses. Il suffit d’une poignée de kilomètres pour passer d’un monde à l’autre (1). La Serra, la dorsale montagneuse qui arme le cap de bout en bout, n’atteint pas les altitudes du Cintu ou du Ritondu ; néanmoins ses sommets sont assez élevés (1307 m au Monte Stellu, 1322 m pour la Cima de e Follicie) pour offrir hiver comme été une ambiance proche de celle de la haute montagne (2,3 : la Cima e Folliccie en hiver)

Si ce n’était la présence de la mer, rarement perdue de vue, et l’absence d’espèces végétales typiques de la montagne, tel le pin laricio, il ne serait pas difficile en marchant sur ces crêtes de s’imaginer transporté sur quelque cime des grands massifs de l’intérieur. Des ces hauteurs la vie est si aérienne qu’il est possible d’apercevoir les Alpes par temps clair.

Cette barrière rocheuse, franchie seulement par quelques cols, n’a jamais facilité les échanges entre les deux versants de la péninsule, longue de 37 kilomètres du nord au sud pour une largeur de 10 à 14 kilomètres. Elle n’a pas davantage encouragé les communications longitudinales. La Serra prend en effet la forme d’une colonne vertébrale, ou d’une arête de poisson, d’où partent des chaînons secondaires perpendiculaires à la mer. D’où un relief cloisonné, structuré comme une succession d’alvéoles, de vallées constituant autant d’unités de lieu et de séquences paysagères. Pour passer d’une vallée à l’autre, d’un village à l’autre, il a été longtemps plus simple de prendre le bateau que d’emprunter les routes.

Les villages sont éclatés en essaims de petits hameaux dont aucun ne porte le nom de la commune. Ces hameaux et leurs terrasses cultivées sont généralement en retrait, perchés sur les versants, au-dessus des espaces cultivés de la plaine et de la « marine », l’extension villageoise située en bord de mer. Une organisation de l’espace qui répondait à des soucis de sécurité – le littoral fut longtemps dangereux, comme le rappellent les nombreuses tours de défense édifiées sur le rivage et jusque dans les hameaux – mais aussi à une rationalité économique : paysans et marins, vignerons et pêcheurs, les Capcorsins ont su exploiter à la fois les ressources de la terre et de la mer. On compte ainsi une vingtaine de marines ou scalu (« points d’escales ») sur le littoral du Cap (5-La marine d’Erbalunga qui inspiré nombre de peintres et de photographes).

Quelques-unes sont devenues des ports d’une certaine importance, comme Macinaggio (ancien port commercial aujourd’hui dédié à la plaisance) ou Centuri (spécialisé dans la pêche côtière à la langouste). L’histoire des « maisons d’Américains » s’inscrit également dans cette relation particulière à la mer : au XIXe siècle, certains des nombreux Capcorsins partis chercher fortune « aux Amériques » sont ensuite revenus au pays se faire construire de somptueuses et ostentatoires demeures entourées de jardins exotiques. Ces grandes bâtisses édifiées pour la plupart sur des emplacements privilégiés participent depuis lors des paysages du cap, au même titre que les dizaines de tours, de couvents, d’églises, de chapelles, de châteaux, de maisons fortes, de mausolées, de moulins qui jalonnent les routes et ancrent ce territoire dans son histoire (6).

Si la péninsule bénéficie d’un climat arrosé, elle est balayée par des vents violents qui viennent autant de l’ouest ou du nord-ouest (libecciu, tramuntana) que du sud-est ou du nord-est (siroccu, grecu). Cette omniprésence du vent se lit dans les formes d’érosion des roches comme dans celles de la végétation brossée et compactée par les tempêtes. D’une manière générale, les paysages tendent aujourd’hui à se refermer du fait du recul des activités agricoles et des incendies. Sauf sur les crêtes et à proximité des villages et des marines, les vallées du cap se couvrent ainsi d’une végétation dense dominée par le maquis arboré et la chênaie verte. Aux nuances de couleur du manteau végétal répond la variété des schistes lustrés avec leur cortège de roches vertes – marbres (cipolins), gabbros, serpentinites, prasinites ou péridotites. Cette matière minérale a été largement utilisée en architecture : à l’instar des toits de maisons en pierres plates (teghje), les tours de Negru et d’Albu ne sont pas noire et blanche, comme leur nom le laisserait penser, mais bien gris-vertes…

La nature des roches rattache la presqu’île à la Corse alpine. Elle n’est pas étrangère à la dissymétrie du Cap. Les schistes provenant de la transformation de roches sédimentaires prédominent sur le versant oriental, aux formes plutôt molles (7). Tandis les roches les plus dures soutiennent les reliefs escarpés de la façade occidentale (8).

La côte Est, relativement ouverte et peu élevée, regarde vers les îles de l’archipel toscan (Monte Christo, Elbe, Capraia) et la côte italienne. Les rivières y ont fertilisé une série de petites plaines littorales, dans le prolongement des vallées qui s’étirent sur plusieurs kilomètres vers l’intérieur, jusqu’aux crêtes sommitales. Le point d’entrée dans ces vallées propices à l’implantation humaine reste la marine et le bord de mer que longe la RD80 (9). Mais il existe aussi des possibilités de découverte en balcon, par la route ou à pied par les sentiers. Les principaux enjeux sont ici le maintien des activités agricoles, contribution essentielle à la vie des villages comme à la qualité des paysages, et la maîtrise de l’urbanisation autour des marines.

Sur la rive tournée vers le grand large, la montagne tombe directement dans la mer. Les hameaux se sont installés là où il restait un peu d’espace disponible : sur quelques replats en balcon, sur les gradins des versants en amphithéâtre, ou dans quelques cirques de l’intérieur (10-11). La quasi absence de ports et de plages, la forte présence dy substrat minéral mis à jour par l’érosion et la modestie du couvert végétal en dehors des vallons abrités, sont d’autres traits caractéristiques de cette côte battue par les vents et les vagues. La RD80 s’inscrit harmonieusement dans le paysage. Elle s’élève souvent pour passer en corniche haute et offrir des vues plongeantes, parfois vertigineuses sur le rivage et sur la mer. La totalité de la façade occidentale du Cap est protégée au titre de la loi de 1930 (sites inscrits ou classés). Seul le hameau d’Erbalunga est inscrit sur la rive orientale

Références bibliographiques

Fortini M., Cap Corse – Capandula, édition Marval, 1994.

Delaugerre M., Cap Corse : une promenade sur le sentier des douaniers, Actes sud / Dexia éditions, 1998.

Colonna d’Istria R., Romeiro C., Meijer I., Voyage au Cap Corse, éditions du Garde-Temps, 2004.

Liccia J.C., Paoli C., Nigaglioni M.E., Les Maisons d’« Américains », édition Albiana, 2006.

2.01

A - Pointe du Cap

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Unités paysagères

« Si le cap est une « île dans l’île », on peut en dire autant, ramenés à la péninsule elle-même, des immenses territoires de la commune d’Ersa. Ce no man’s land vallonné, qui s’étire sans fin vers la mer, ne ressemble à aucune autre région du cap. L’homme n’est jamais parvenu à façonner ces paysages, à leur donner l’allure domestiquée qui est le signe du Cap Corse ; en cela, le pays d’Ersa s’apparente au reste de la Corse… »

Robert Colonna d’Istria, Voyage au Cap Corse, 2004

« Le chemin pierreux, étroit, se faufile entre les taches mauves de bruyère multiflore – en Corse, elle ne pousse qu'ici – pour arriver au col. Quatre tours apparaissent en un étrange alignement qui ne doit rien au hasard : face à la tour des [îles] Finocchiarola, celle de Santa Maria sur un écueil au milieu de l'eau, puis la tour d'Agnellu accrochée à la falaise, et au loin, sur ce qui paraît une ultime pointe, la tour carrée de l'île de la Giraglia. »

Michel Delaugerre, Cap Corse. Une promenade sur le sentier des douaniers, 1998

« La mer Tyrrhénienne et la mer Franque mêlent leurs eaux à hauteur de la petite île de la Giraglia, qui semble un navire gigantesque et bizarre. Sa vieille tour, carrée et grise, et son phare blanc qui se dresse hardiment, parachèvent l’illusion. Lorsque le temps est clair, les côtes toscane et génoise, viennent joliment décorer l’horizon. »

Antone Bonifacio, Granaghjolu d’Ersa, 1926

Dans la partie la plus septentrionale du cap, la dorsale montagneuse s’abaisse vers l’est et le nord pour laisser place à des vallées largement ouvertes sur la mer, qui s’abaissent en pentes douces vers la côte. Le littoral rocheux s’adoucit également : à proximité des petits ports de Macinaggio (marine du village de Rogliano) et de Barcaggio (marine d’Ersa), la pointe du Cap Corse recèle de superbes plages de sable de plus en plus appréciées par les estivants. Bien que la communication entre les deux versants y soit plus facile, on retrouve néanmoins, à échelle plus réduite, l’opposition entre les deux faces du cap : au nord-ouest, au-delà de Tollare (l’autre marine d’Ersa), la côte redevient abrupte et sauvage.

L’échappée sur le ciel et le grand large instille une atmosphère de « bout du monde ». Cependant les paysages de la pointe sont plus diversifiés que ceux des autres unités du Cap. Il suffit parfois de faire quelques mètres pour basculer d’une ambiance à une autre, d’un univers à un autre, en passant par exemple d’une étendue de maquis à une zone humide, ou de la fraîcheur d’un sous-bois à l’aride luminosité du bord de mer. Une activité d’élevage subsiste dans cette extrémité de la presqu’île jadis couverte de vignes et de jardins, ce qui permet d’y garder une dominante d’espaces ouverts : prairies, pelouses sèches ou maquis clairsemés.

La RD80 quitte le bord de mer à hauteur de Macinaggio, pour bifurquer vers l’intérieur du cap et l’autre versant. L’absence de route au-delà de la marine, et surtout, vingt ans d’acquisitions foncières réalisées par le Conservatoire du littoral avec le soutien des collectivités territoriales, ont écarté toute menace d’urbanisation sur 650 hectares de nature sauvage bordés par dix kilomètres de plages, de promontoires et de falaises intacts. Un sentier aménagé en bord de mer longe toute la façade de l’espace naturel de la Pointe du Cap Corse, devenu aujourd’hui le meilleur atout touristique de la microrégion.

2.01

B - Vallées du Cap

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Unités paysagères

« De la chaîne centrale, appelée Serra, épine dorsale de la péninsule, descendent des chaînons aboutissant à la mer ; entre eux se creusent de fraîches et profondes vallées, bien arrosées ; ces vallées constituent la commune, elles lui ont imposé leur nom particulier. L’embouchure du torrent ou une plage voisine sert de port à cet organisme ; parfois cette « marine » est complétée par un petit môle où s’amarrent les navires. L’ensemble est charmant de ces vallées dont la tête est comme creusée dans les roches de la Serra, dont la conque est un abîme de verdure sombre et dans laquelle les habitants ont taillé leurs champs, leurs vignes, leurs cédratières et construit de belles villas, presque des châteaux. »

Victor Ardouin-Dumazet, Voyage en France : la Corse, 1897-1898

Malgré la présence des longues vallées parallèles, toutes orientées ouest-est – donc perpendiculairement à la mer –, le versant oriental du Cap présente une surprenante régularité : il n’est pas déformé, découpé par les concavités des bassins versants, comme si la ligne de côte finement sculptée restait indépendante de son arrière-pays. Par ailleurs, les vallées sont bien plus évasées en amont qu’en façade maritime. Leur « fenêtre sur la mer » reste étroite et généralement encadrée par des éperons rocheux qui limitent la visibilité sur la ligne de rivage. Il en résulte un effet de surprise renouvelé. En suivant la route côtière, chaque arrivée sur une marine constitue un événement, une découverte.

Comme la géomorphologie, la répartition de la végétation semble avoir été inversée, par rapport à l’idée que l’on se fait habituellement d’une vallée. Le couvert forestier n’est pas cantonné aux versants comme il en va généralement ; il s’étend là où l’on s’attendrait plutôt à trouver un paysage ouvert, dans l’espace central de la conque, masquant à la vue les hameaux et leur écrin de terrasses et de jardins, effaçant ainsi les clés de lecture du paysage lorsqu’on se tient en bord de mer. A l’inverse, les hauts de versants où l’on penserait trouver de la forêt apparaissent pelés, dénudés par les vents violents. Il faut quitter la mer, prendre de la hauteur pour que se révèle la trame des hameaux.

Pour la même raison, il faut s’enfoncer dans les vallées pour découvrir tout un patrimoine d’édifices religieux, de tombeaux, de tours, de belles demeures, de fontaines et de lavoirs qui ne cède en rien à celui de la côte occidentale du cap. Sauf qu’ici ce paysage culturel se fait plus discret, du fait de l’abondance de la végétation.

2.01

C - Côte de Minerviu-Capense

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Bien qu’elle ne soit guère moins abrupte qu’ailleurs sur la façade occidentale du cap, la côte rocheuse entre Centuri et Morsiglia fait partie des secteurs les plus habités de la microrégion. Dans ces vallons en amphithéâtre sur la mer, la trame dense des terrasses et des jardins, la géométrie soignée des vignes et des vergers, la végétation luxuriante autour des hameaux en balcon, mais aussi les différents éléments d’un patrimoine bâti particulièrement remarquable (« maisons d’Américains », châteaux, tours carrées, couvents, églises, tombeaux monumentaux…), composent des paysages d’une grande richesse et d’une grande harmonie.

La marine de Centuri et l’îlot Capense forment une rade naturelle. La végétation relativement basse sur cette côte exposée aux vents d’ouest met en évidence les constructions. Derrière le décor de carte postale du petit port de pêche à la langouste, se développe une urbanisation qui sur le plan qualitatif n’est pas toujours à la hauteur du site.

Le paysage devient beaucoup plus sauvage entre le Capu Corvali et le Monte Minerviu. Il n’y a plus ici de villages pour humaniser les versants, à l’exception de Pino, si proche de la mer qu’il paraît n’être qu’une extension de la marine de Scalu, avec sa tour génoise et son couvent. Depuis Pino la RD80 monte vers la tour de Sénèque et le col de Santa Lucia, point de bascule vers l’autre versant de la presqu’île.

La remarquable pyramide du Monte Minerviu (415 m), constituée de roches métamorphiques très dures, semble émerger de l’eau pour protéger le hameau éponyme et ses terrasses qui descendent en escalier vers la mer.

Au dos du promontoire, l’un des rares replats de cette côte escarpée a permis la formation d’un paysage rural de prairies et de paillers dont la douceur équilibre la sèche minéralité du sommet.

2.01

D - Vallée de Barretali

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Unités paysagères

Incurvée en petit amphithéâtre, la vallée de Barretali – Giottani possède toutes les caractéristiques de la vallée type du Cap Corse : en bord de mer, la marine nichée entre deux éperons rocheux, avec sa plage de galets et sa tour génoise ; une petite zone humide au débouché de l’étroite plaine sédimentaire ; et derrière, la vallée montagneuse qui grimpe jusqu’aux crêtes sommitales. Tous les éléments du paysage sont en place et clairement lisibles, qu’il s’agisse des hameaux étagés (quatorze se succèdent le long de la RD233 mais tous en se donnent pas d’emblée à voir : ils se découvrent à mesure que la route pénètre dans la vallée) ou des strates de végétation. On pourrait parler de « vallée témoin », tout comme on parle d’« appartement témoin ».

L’implantation des hameaux illustre une constante du Cap Corse : dès que le relief se fait moins marqué, les lieux d’habitation prennent du recul par rapport au bord de mer. De loin ces hameaux cachés semblent comme oubliés au milieu d’un maquis pauvre. Mais dès que l’on s’en approche, ils révèlent toute la richesse de leur paysage rural (oliveraies, vergers, terrasses, châtaigneraies…) et de leur patrimoine bâti (maisons traditionnelles, églises, palazzu, tours carrées, tombeaux…). Les crêtes qui protègent la vallée des vents dominants favorisent la présence sur le versant nord d’une végétation luxuriante en fond de vallons et le long des cours d’eau.

Au débouché du vallon de Biagga, la marine de Giottani avec sa petite plage que garde une tour génoise. Sur les pentes surplombant la baie, les roches à nu ont pris une belle patine oxydée. Cette couleur ocre disparaît à proximité des vagues pour laisser place à un substrat d’une blancheur éblouissante.

2.01

E - Côte de Nonza

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Unités paysagères

« De Nonza à Centuri, les bourgades sont accrochées au versant de la barrière montagneuse, à côté d’anciennes tours, assises sur un socle rocheux. De tous ces charmants villages, Nonza est le plus pittoresque (…) Il y a un abrupt de 500 pieds de la tour génoise en ruine aux vagues qui déferlent avec fureur en contrebas. Des maisons proches de la route derrière la pointe la plus élevée ne sont pas posées sur la colline, mais amarrées à elle. Un sentier escarpé, véritable escalier sur une bonne partie de sa longueur, descend jusqu’au bord de l’eau et on y voit constamment monter un convoi de femmes et d’ânes. »

Les côtes de Corse, The National Geographic Magazine,1923

Cette unité très étendue en longueur se révèle plus composite que les autres entités paysagères du Cap Corse. Ce ne sont pas ici des vallées de morphologie comparables qui se succèdent comme sur le versant oriental, mais trois « compartiments » séparés par des crêtes perpendiculaires à la ligne de côte, avec autant de façons différentes de regarder la mer. Au nord, Canari et ses hameaux en balcon font face au large mais surplombent sans la voir la marine nichée à leur pied. A Nonza le lien visuel entre le village perché et le bord de mer est immédiat et vertigineux. Plus au sud enfin, la route en corniche dessert des marines (Negru, Farinole) coupées visuellement de leurs villages de l’intérieur. Points communs à ces paysages : la verticalité des reliefs qui tombent dans la Méditerranée et l’absence de recul, l’étroitesse de l’espace « habitable » entre la mer et ces versants abrupts couverts d’un maquis dense. Les vallées de la côte de Nonza partagent aussi une même vue majestueuse sur l’Agriate et, en arrière-plan, les montagnes de la cordillère corse.

L’arrivée sur le nid d’aigle de Nonza, en équilibre acrobatique sur sa falaise au-dessus de la plage de sable et de galets noirs longue de trois kilomètres, est toujours un moment fort dans la découverte routière du Cap Corse. Entre le village historique sur son promontoire et le versant mis à nu par l’ancienne exploitation d’amiante de Canari, de part et d’autre de la baie, ce paysage fortement marqué par l’homme met en tension la Corse traditionnelle et la mémoire industrielle de l’île.

Au pied du belvédère de Nonza, les vestiges de magazini rappellent qu’autrefois il existait ici un port d’où les cédrats étaient exportés vers l’Italie ou l’Angleterre. La grande plage, tout comme la petite grève d’Elbu qui la prolonge au nord, ont une origine artificielle : elles sont nées de l’accumulation des stériles (déchets) de la mine d’amiante (15 millions de tonnes déversés entre 1948 et 1965) qui ont comblé les concavités de la côte et adouci le contact entre les versants et la mer. Depuis que l’exploitation a cessé, la mer reprend progressivement ses droits et dans quelques décennies ces plages auront sans doute disparu.

L’exploitation de l’amiante à ciel ouvert a conduit à tailler le versant en gradins. Malgré la fermeture de l’usine et des carrières en 1965, le site reste un point noir paysager.

Le trait de côte dans ce secteur se présente comme une succession de pointes massives et de criques étroites.

Sur ce littoral abrupt la RD80 offre un balcon privilégié sur la Méditerranée ; elle serpente en corniche sans s’écarter beaucoup du bord de mer dont elle épouse tous les circonvolutions. La D80 est doublée sur une partie de son parcours par la RD33 dont l’itinéraire est plus montagnard.

2.01

F - Cirque de E Follicie-Stello

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Unités paysagères

En arrière de la côte de Nonza, une ligne de crêtes parallèle au rivage isole le flanc de la dorsale cap-corsine du rivage occidental. Au nord, à hauteur de la tour d’Albu, et plus au sud, au niveau de tour de Negru, deux gorges étroites entaillent ce relief. Ces portes d’entrée mènent à deux vallées secrètes, deux cirques jumeaux – Follicie et Stellu – dont l’existence reste insoupçonnée depuis le bord de mer. Passés les verrous rocheux, soudain le paysage bascule. Les motifs littoraux laissent place à une ambiance de pleine montagne : la châtaigneraie investit les versants, torrents et cascades apportent leur fraîcheur, bergeries et enclos annoncent déjà la proximité des estives. Le col de Puratellu, à 833 mètres d’altitude, permet de passer d’un cirque à l’autre.

L’entrée du cirque de Stellu, étroite et profonde vallée densément boisée ; on devine sur le versant sud d’anciennes terrasses en grande partie noyées sous la végétation.

Les villages perchés d’Ogliastu et d’Olcani se découvrent au bout d’une belle vallée bordée de châtaigneraies. Bien que toute proche à vol d’oiseau, la mer, à demi cachée à Ogliastru, est invisible depuis Olcani ou Olmeta di Capu Corsu, d’où des chemins empierrés grimpent vers les cols de la Serra. Sous les sommets de la cima di e Follicie (1305 m), du Monte Canetu (1325 m) et du Monte Stellu (1307 m), points culminants de la péninsule, les étages de végétation se dessinent avec netteté. L’accès aux steppes d’altitude puis aux crêtes nues qui ferment le fond des cirques, paraît aisé, naturel. Un tout autre paysage s’ouvre depuis ces hauteurs. La vue plongeante fait ressortir la nature maritime de la presqu’île, comme suspendue au-dessus des flots. En même temps, un coup d’œil vers le sud révèle la continuité entre ces montagnes et celles du massif du Tenda, par où le Cap s’enracine dans le socle de l’île.

2.01

G - Cirque de Branda-Lota

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Vus du rivage, les versants de Brando et de Lota sont dominés par la présence presque écrasante de la montagne. Les vallées courtes et pentues, ouvertes en aval sur le rivage, prennent la forme de cirques semi-fermés qui s’adossent en amont à la barrière de la Serra et au Monte Stellu. Les hameaux ont été bâtis sur des épaulements du relief dégageant la vue sur la mer. Sauf autour de ces noyaux villageois anciens, encore entourés de chênes verts ou de châtaigniers, et dans le creux des vallons dont la ripisylve souligne le tracé, un maquis bas couvre les pentes. La végétation porte ici les stigmates d’incendies répétés. Mais les feux ont aussi mis au jour les anciennes terrasses de culture, ainsi que les vestiges nombreux d’un riche passé historique.

Les visuels vers l’amont plongent l’observateur dans une ambiance de montagne en le soustrayant totalement à l’influence de la côte et de la mer.

Les carrières de Brando marquent davantage le paysage perçu depuis le lido de la Marana ou les crêtes de Teghime, au sud de Bastia, qu’à partir du cirque tout proche. Les fronts de taille accentuent le feuilleté naturel de la montagne, dont ils suivent les couches géologiques. On y extrait le cipolin, une variété de schiste jadis recherchée pour ses riches nuances de couleurs. Ce matériau utilisé pour construire la cathédrale de la Canonica ou paver les trottoirs de Bastia sert aujourd’hui à couvrir les toits. Fermées en 1918, les carrières sont de nouveau exploitées depuis les années 1970.

A l’inverse, depuis les hameaux des versants, lorsque les perspectives s’ouvrent vers l’aval c’est la présence de la mer qui devient prépondérante…

Erbalunga, avec ses maisons les pieds dans l’eau et sa tour génoise, fut au XVIe siècle la première marine du cap habitée de façon permanente. On peut toujours voir à Castellu, au-dessus de la bourgade, les ruines du château médiéval des Gentile, puissante famille féodale capcorsine.

L’urbanisation d’Erbalunga s’étend aujourd’hui sur la mince frange côtière où se concentrent services et activités, tandis que rien ou presque ne dérange la tranquillité des hameaux environnants.

Sur le bord de mer soumis à l’expansion résidentielle de Bastia, l’urbanisation efface les découpes naturelles de la côte rocheuse à mesure qu’elle l’artificialise ; tout comme elle tend à gommer l’architecture remarquable des marines en banalisant leur environnement. De Pietranera jusqu’à Erbalunga en passant par Miomo, de part et d’autre de la route littorale, la quasi continuité du bâti canalise le regard dans un « couloir urbain » qui donne l’impression de ne pas sortir de la ville. La RD31, reliant les villages en balcon de San Martino di Lota, Santa Maria di Lota et Brando, offre une heureuse alternative.

2.01

H - Crête de Teghime

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Unités paysagères

Aucune route ne grimpe jusqu’aux crêtes. Malgré la proximité de la mer que l’on contemple des deux côtés, la sensation d’altitude, voire aérienne, la pureté de l’air, les brouillards fréquents, la végétation rase créent une ambiance indubitablement montagnarde. Les hauteurs de Teghime sont un espace sauvage de balade aux portes de Bastia et un « poumon vert » pour les citadins.

Les substrats rocheux ingrats, du fait notamment de la présence de serpentinites, ne laissent pousser sur ces hauteurs qu’une végétation maigre et éparse, composée de plantes très spécialisées poussant en coussinets. L’érosion due aux incendies répétés n’a fait qu’accentuer l’impression de dénuement.

Motifs & Enjeux

Motifs & Enjeux