Les Romains avaient baptisé « Promontoire sacré » cette presqu’île qui prolonge la Corse comme un doigt tendu dans le golfe de Gênes. Dans le Cap Corse, de Bastia à Saint-Florent en passant par Macinaggio et Centuri, on retrouve à échelle réduite le contraste entre les deux côtes, orientale et occidentale, caractéristique du relief insulaire. On y retrouve aussi, plus fortement exprimée qu’en d’autres lieux, cette relation étroite de proximité et de confrontation entre la mer et le montagne qui est une marque de fabrique des paysages corses. Il suffit d’une poignée de kilomètres pour passer d’un monde à l’autre (1). La Serra, la dorsale montagneuse qui arme le cap de bout en bout, n’atteint pas les altitudes du Cintu ou du Ritondu ; néanmoins ses sommets sont assez élevés (1307 m au Monte Stellu, 1322 m pour la Cima de e Follicie) pour offrir hiver comme été une ambiance proche de celle de la haute montagne (2,3 : la Cima e Folliccie en hiver)
Si ce n’était la présence de la mer, rarement perdue de vue, et l’absence d’espèces végétales typiques de la montagne, tel le pin laricio, il ne serait pas difficile en marchant sur ces crêtes de s’imaginer transporté sur quelque cime des grands massifs de l’intérieur. Des ces hauteurs la vie est si aérienne qu’il est possible d’apercevoir les Alpes par temps clair.
Cette barrière rocheuse, franchie seulement par quelques cols, n’a jamais facilité les échanges entre les deux versants de la péninsule, longue de 37 kilomètres du nord au sud pour une largeur de 10 à 14 kilomètres. Elle n’a pas davantage encouragé les communications longitudinales. La Serra prend en effet la forme d’une colonne vertébrale, ou d’une arête de poisson, d’où partent des chaînons secondaires perpendiculaires à la mer. D’où un relief cloisonné, structuré comme une succession d’alvéoles, de vallées constituant autant d’unités de lieu et de séquences paysagères. Pour passer d’une vallée à l’autre, d’un village à l’autre, il a été longtemps plus simple de prendre le bateau que d’emprunter les routes.
Les villages sont éclatés en essaims de petits hameaux dont aucun ne porte le nom de la commune. Ces hameaux et leurs terrasses cultivées sont généralement en retrait, perchés sur les versants, au-dessus des espaces cultivés de la plaine et de la « marine », l’extension villageoise située en bord de mer. Une organisation de l’espace qui répondait à des soucis de sécurité – le littoral fut longtemps dangereux, comme le rappellent les nombreuses tours de défense édifiées sur le rivage et jusque dans les hameaux – mais aussi à une rationalité économique : paysans et marins, vignerons et pêcheurs, les Capcorsins ont su exploiter à la fois les ressources de la terre et de la mer. On compte ainsi une vingtaine de marines ou scalu (« points d’escales ») sur le littoral du Cap (5-La marine d’Erbalunga qui inspiré nombre de peintres et de photographes).
Quelques-unes sont devenues des ports d’une certaine importance, comme Macinaggio (ancien port commercial aujourd’hui dédié à la plaisance) ou Centuri (spécialisé dans la pêche côtière à la langouste). L’histoire des « maisons d’Américains » s’inscrit également dans cette relation particulière à la mer : au XIXe siècle, certains des nombreux Capcorsins partis chercher fortune « aux Amériques » sont ensuite revenus au pays se faire construire de somptueuses et ostentatoires demeures entourées de jardins exotiques. Ces grandes bâtisses édifiées pour la plupart sur des emplacements privilégiés participent depuis lors des paysages du cap, au même titre que les dizaines de tours, de couvents, d’églises, de chapelles, de châteaux, de maisons fortes, de mausolées, de moulins qui jalonnent les routes et ancrent ce territoire dans son histoire (6).
Si la péninsule bénéficie d’un climat arrosé, elle est balayée par des vents violents qui viennent autant de l’ouest ou du nord-ouest (libecciu, tramuntana) que du sud-est ou du nord-est (siroccu, grecu). Cette omniprésence du vent se lit dans les formes d’érosion des roches comme dans celles de la végétation brossée et compactée par les tempêtes. D’une manière générale, les paysages tendent aujourd’hui à se refermer du fait du recul des activités agricoles et des incendies. Sauf sur les crêtes et à proximité des villages et des marines, les vallées du cap se couvrent ainsi d’une végétation dense dominée par le maquis arboré et la chênaie verte. Aux nuances de couleur du manteau végétal répond la variété des schistes lustrés avec leur cortège de roches vertes – marbres (cipolins), gabbros, serpentinites, prasinites ou péridotites. Cette matière minérale a été largement utilisée en architecture : à l’instar des toits de maisons en pierres plates (teghje), les tours de Negru et d’Albu ne sont pas noire et blanche, comme leur nom le laisserait penser, mais bien gris-vertes…
La nature des roches rattache la presqu’île à la Corse alpine. Elle n’est pas étrangère à la dissymétrie du Cap. Les schistes provenant de la transformation de roches sédimentaires prédominent sur le versant oriental, aux formes plutôt molles (7). Tandis les roches les plus dures soutiennent les reliefs escarpés de la façade occidentale (8).
La côte Est, relativement ouverte et peu élevée, regarde vers les îles de l’archipel toscan (Monte Christo, Elbe, Capraia) et la côte italienne. Les rivières y ont fertilisé une série de petites plaines littorales, dans le prolongement des vallées qui s’étirent sur plusieurs kilomètres vers l’intérieur, jusqu’aux crêtes sommitales. Le point d’entrée dans ces vallées propices à l’implantation humaine reste la marine et le bord de mer que longe la RD80 (9). Mais il existe aussi des possibilités de découverte en balcon, par la route ou à pied par les sentiers. Les principaux enjeux sont ici le maintien des activités agricoles, contribution essentielle à la vie des villages comme à la qualité des paysages, et la maîtrise de l’urbanisation autour des marines.
Sur la rive tournée vers le grand large, la montagne tombe directement dans la mer. Les hameaux se sont installés là où il restait un peu d’espace disponible : sur quelques replats en balcon, sur les gradins des versants en amphithéâtre, ou dans quelques cirques de l’intérieur (10-11). La quasi absence de ports et de plages, la forte présence dy substrat minéral mis à jour par l’érosion et la modestie du couvert végétal en dehors des vallons abrités, sont d’autres traits caractéristiques de cette côte battue par les vents et les vagues. La RD80 s’inscrit harmonieusement dans le paysage. Elle s’élève souvent pour passer en corniche haute et offrir des vues plongeantes, parfois vertigineuses sur le rivage et sur la mer. La totalité de la façade occidentale du Cap est protégée au titre de la loi de 1930 (sites inscrits ou classés). Seul le hameau d’Erbalunga est inscrit sur la rive orientale