Atlas des paysages

de la Corse

Les substrats du paysage

« L’île d’une superficie de 8712,8 km², s’étirant du nord au sud sur 180 km, et large au maximum de 84 km, se compose de deux entités bien distinctes, aux plans géologique, géographique ou historique… »*

A l’ouest, la Corse cristalline est structurée par la chaîne montagneuse la plus étendue en longueur et la plus élevée. « Véritable charpente de l’île »*, cette grande dorsale granitique, d’épaisseur décroissante en allant du nord au sud, culmine à 2710 mètres au Monte Cintu, chef de file d’une série de montagnes qui dépassent les 2000 mètres d’altitude. Elle présente des dénivelés très importants, les plus hauts sommets se dressant en général à moins de 40 kilomètres de la mer. Les principaux massifs montagneux (Tenda pour partie, Cintu, Ritondu, Oru, Renosu, Incudine-Bavella et Ospedale-Cagna) se détachent de cette colonne vertébrale. Les ramifications secondaires de la chaîne et les vallées qui s’en écoulent vers l’ouest et le sud-ouest, déterminent sur la rive occidentale un trait de côte tourmenté. Les golfes profondément échancrés (Porto, Sagone, Ajaccio, Valincu), abritant quelques plaines et piémonts (Balagne, plaine d’Ajaccio entre autres), y alternent avec les versants abrupts, les caps et les pointes, quelques massifs littoraux (Agriate, Ravu et Calazzu, la Punta-Sanguinaires, Campomoro-Senetosa) s’individualisant sur cette côte rocheuse. Par ailleurs, la ligne de crête de la grande chaîne opère dans l’île une césure à la fois physique et historique : elle sépare « l’Au-Delà-des Monts » de « l’En-deçà-des Monts », lesquels communiquent par des cols relativement élevés – cols de Verghju (1484 m), Vizzavona (1164 m), Sorba (1364 m), Verde (1283 m)… –, utilisés depuis toujours comme voies naturelles de communication. Les plus grands cours d’eau de l’île, qui ont creusé ses principales vallées, naissent des contreforts de cette montagne granitique. S’écoulant vers l’ouest, on trouve ainsi, du nord au sud, la Figarella, le Fangu, le Liamone, la Gravona, le Prunelli, le Taravu, le Baracci, le Rizzanese et l’Ortolu ; et vers l’est, le Golu, le Tavignanu et le Fium’Orbu.

A l’est et au nord-est, la Corse alpine, dite aussi Corse schisteuse, est charpentée par des montagnes plus modestes et moins abruptes. Depuis le massif littoral du Cap Corse, la ligne de reliefs qui descend vers le sud culmine à 1307 m au Monte Stellu, puis se poursuit au-delà du col de Teghime par le coude nord du massif de Tenda. Après la tranchée du Golu, elle se prolonge par le massif montagneux du San Pedrone-Pianu Maggiore, dont la cime du Monte San Pedrone (1767 m) constitue le point le plus haut. C’est dans ce massif très arrosé que le Fium’Altu, l’Alesani et la Bravona prennent leur source. Ces cours d’eau drainent les versants de la Castagniccia, avant de rejoindre plus ou moins rapidement la (les) plaine(s) orientale(s), étendue alluvionnaire et sédimentaire fertile, doucement vallonnée par endroits et parsemée d’étangs côtiers se déployant depuis Bastia jusqu’à la Solenzara (étangs de Biguglia, Diana, Urbinu, Palu…). En marge nord-ouest, le bassin versant de l’Alisu, né des contreforts du massif de Tenda, forme la Conca d’Oru ou bassin du Nebbiu.

Ces deux grandes entités montagneuses sont séparées par une dépression centrale, dénommée le « sillon ». Longue de presque 150 kilomètres, elle se compose d’une succession de petits bassins arrosés par l’Ostriconi, le Golu entre Ponte Leccia et Francardu, puis le Tavignanu à partir de Corte.

Depuis les deux grandes dorsales de montagnes, orientées dans le sens nord-sud, les reliefs secondaires s’étirent presque perpendiculairement en « arêtes de poisson », cloisonnant ainsi le ruissellement et les bassins versants des rivières et des fleuves.

Le réseau hydrique de la Corse apparaît très dense. Il totalise 3000 kilomètres de cours d’eau de faible longueur (80 km au maximum, moins de 30 km pour la plupart) et de nombreux bassins versants de faible superficie (1 000 km² au maximum, dix seulement s’étendent sur plus de 150 km²). Plus que l’altitude moyenne (568 m), ce sont les dénivelés très marqués et la quasi omniprésence des fortes pentes qui ont une influence majeure sur le régime hydraulique. Parmi les rivières de l’île, les quatre fleuves dont la longueur dépasse 50 kilomètres (Golu, Tavignanu, Taravu et Rizzanese) sont les seuls à présenter une pente moyenne inférieure ou égale à 4 %. Les autres montrent une forte dominance du régime torrentiel de type fluvio-nival, marqué par de fortes variations de débit liées à des pluies intenses mais irrégulières.

Le relief très accusé détermine aussi l’organisation du territoire et son occupation : isolée par sa frontière maritime, la Corse est en outre compartimentée par le cloisonnement des bassins versants, qui composent autant d’entités paysagères et matérialisent le type de paysage le plus fréquemment rencontré. L’île offre peu d’espaces plans et ouverts. Les rivières ont creusé de profondes et étroites vallées, façonnant souvent des gorges et défilés spectaculaires. Si l’on peut rencontrer sur les versants proches de la côte de nombreux petits ruisseaux au régime temporaire (de type oued), les plus grands cours d’eau ont formé à l’embouchure des bassins les plus amples quelques plaines alluvionnaires. A la lisière des milieux marins et terrestres, se sont développés dans ces plaines (outre quelques estuaires, deltas et rias), des chapelets de zones humides qui se déclinent en étangs ou lagunes (stagni), marais (padule), marécages et vasières. Autrefois hantées par la malaria (le « mauvais air », c’est-à-dire le paludisme), et désormais assainies, ces étendues plus ou moins vastes d’eaux plus ou moins saumâtres, à forte valeur écologique et économique, forment également des paysages singuliers, particulièrement bien représentés sur la côte orientale de l’île.

L’eau douce est partout présente en Corse, sous des formes variées, depuis les sommets des reliefs jusqu’aux arrières-plages. Ainsi, de nombreux cirques cachés sur les plus hauts versants abritent des lacs d’altitude d’origine glaciaire, joyaux paysagers sertis dans l’écrin des montagnes. Les innombrables sources qui jaillissent sous les sommets, mais aussi des flancs des vallées que dévalent les torrents, jouent un rôle très important dans l’alimentation en eau des villages et hameaux de l’intérieur (sources captées, fontaines). Cette ressource est due aux fortes précipitations qui remplissent les aquifères du socle : l’île reçoit 900 mm d’eau en moyenne annuelle, soit 8 milliards de m3 en volume, ce qui en fait un véritable « château d’eau » au cœur de la Méditerranée. Mais si les précipitations sont globalement abondantes, le régime climatique fait qu’elles sont inégalement réparties, tant d’un point de vue spatial – le littoral est peu arrosé (moins de 700 mm par an) tandis que la montagne bénéficie d’une forte pluviométrie (plus de 1000 mm) – que saisonnier – l’alternance des pluies fréquentes d’octobre à avril et des périodes de sécheresse estivales entraînant de très fortes variations de débits. Par ailleurs, du fait des pertes en écoulement très importantes et de la nature géologique du substrat, les nappes et aquifères sont peu nombreux et de taille limitée. Des ouvrages hydroélectriques à vocation énergétique et/ou agricole ont été construits dans quelques vallées, créant des lacs artificiels qui ont transformé localement les paysages (barrages de Calacuccia, de Tolla, du Rizzanese – ce dernier en cours de construction –, de Sampolo dans le Fium’Orbu, de l’Alesani). S’y ajoutent des retenues à usage agricole aménagées dans les plaines, principalement sur la côte orientale.

 

Bibliographie 

Sdage corse 2010-2015

 Collectif. La Corse. Une île-montagne au cœur de la Méditerranée. Delachaux et Niestlé, 2002.

Cuenca J. C., Gauthier A., Alesandri J. Des étangs pour Luculus. L’aquaculture en Corse. CRDP Ajaccio, 1987.

Gamisans J. La végétation de la Corse. EDISUD. 1999.

Introduction

La géologie d’un territoire constitue au sens premier le substrat (la sous-strate), c’est-à-dire la toute première couche, celle d’en dessous, la base première et primordiale sur laquelle va se construire et se modeler ce territoire. Les caractéristiques physiques de ce substrat auront une influence directe sur la morphologie dudit territoire. Avec le climat, il va conditionner le type de relief, dans une certaine mesure le type de végétation, et d’une manière générale l’abondance (ou non) et la disponibilité des ressources au sens large. Par des contraintes spatiales, il va également conditionner le mode d’occupation du territoire.

L’apparente immuabilité des éléments géologiques n’est due qu’à la vision du temps à l’échelle humaine : cette vision statique n’est pas celle du temps géologique, qui nous montre au contraire une dynamique, une capacité de mouvement, de transformation, de transmutation, de modelage et de remodelage, bref une plasticité de ces éléments qui forment le substrat d’un territoire. Il importe donc de souligner qu’à travers l’observation d’un objet géologique – une roche dans son contexte –, on observe en fait un phénomène, et souvent on peut expliquer sa cause (comment la roche s’est formée et pourquoi) et retracer son histoire (les translocations, transformations ou déformations subies) sur des millions d’années. Cette lecture nous donne des clés essentielles pour comprendre l’histoire du territoire et de son paysage. L’empreinte des objets géologiques est en effet parfois si prégnante dans le paysage, qu’ils en matérialisent les composantes principales. Bien que parfois presque invisibles, ils constituent presque toujours des éléments structurants, et c’est par leur compréhension que l’on appréhendera mieux la logique d’un paysage et que sa représentation s’en trouvera enrichie. Car « cette mémoire d’avant la mémoire de l’Homme » est « une mémoire inscrite dans les profondeurs et sur la surface, dans les roches, les fossiles et les paysages, une mémoire qui peut être lue et traduite »*.

Ainsi, les grandes entités géologiques discernables aujourd’hui en Corse ont fortement conditionné les paysages naturels et historiques de l’île. Très schématiquement, on peut distinguer les structures suivantes.

La Corse occidentale ou cristalline

Cette structure géologique est constituée essentiellement par un vaste batholite de roches magmatiques (granites sensu lato et roches volcaniques), formé au cours du paléozoïque (ère primaire), dans une période située entre 340 et 240 millions d’années (Ma) marquant plusieurs épisodes de l’orogénie hercynienne. S’y mêlent des lambeaux dispersés de roches métamorphiques d’âge précambrien (760 Ma environ) à cambrien, donc antérieures au batholite.

Les témoins de cette orogénie et de ses différentes étapes sont matérialisés par différentes roches plutoniques et volcaniques. Ils nous renseignent donc sur la nature de cette genèse, par production de matériel volcanique issu de la fusion de la croûte continentale. Les éléments plutoniques – les plus abondants ici – ayant été mis au jour par érosion.

Au moment de sa formation, le batholite incluant la Corse et la Sardaigne (bloc corso-sarde) était soudé à la marge continentale européenne, entre l’actuelle Provence (massifs des Maures et de l’Estérel) et la Catalogne : il constituait alors la bordure nord d’un océan alpin, dit « liguro-piémontais ». Ce bloc est resté lié au continent jusqu’au début du Miocène (20 Ma environ), période au cours de laquelle il a commencé à subir une dérive antihoraire d’environ 45°, qui l’a amené à sa position actuelle, ouvrant dans son sillage le bassin océanique provençal, de pus de 2000 mètres de profondeur.

Un premier épisode magmatique, entre 340 et 320 Ma, a donné des granites leucocrates, caractérisant une roche composée de macro-cristaux roses à violacés dans une matrice à texture grenue et teintes claires. Ces roches constituent la majeure partie de la plaine et des piémonts de Balagna, du Marsulinu et des côtes de Luzzipeu, une part du massif de Ravu et Calazzu et la marge orientale du massif de la Punta-Sanguinaires.

Entre 320 et 280 Ma, c’est à un deuxième épisode volcanique majeur que l’on doit la majorité des granites présents du centre au sud de l’île, depuis le massif du Ritondu jusqu’à la pointe Capicciola dans l’extrême sud. Cet épisode a comporté deux phases dont la première, la plus productive, a donné naissance à une grande variété de roches granitiques (granodiorites et monzogranites pour l’essentiel). La seconde phase, plus récente, a produit des intrusifs de monzogranites leucocrates qui viennent recouper les substrats issus de la première phase, matérialisant au sud de l’île des massifs modestes mais caractérisés par de spectaculaires chaos rocheux sculptés par l’érosion : montagnes de l’Ospedale-Cagna, de la Trinité-Petra Longa, ainsi que quelques pointes et presqu’îles tourmentées des côtes sud-ouest et sud, comme le Capu di Muru, les pointes de Campomoru et de Senetosa, la pointe de Capicciola.

Le troisième épisode, situé il y a 240 à 280 Ma, est venu enrichir l’héritage géologique des deux précédents, en laissant des plutons (granites alcalins) intrusifs très puissants qui émergent de façon spectaculaire voire vertigineuse, ainsi que des épandages de roches volcaniques non moins spectaculaires formant de grands complexes de type caldeira. La majorité des éléments visibles de nos jours participe des grands paysages naturels de l’île sur des sites parmi les plus emblématiques : le cirque de Bonifatu ; l’essentiel de la grande barrière du massif du Cintu, avec ses rhyolites et ignimbrites aux teintes rouges et ocres taillées en parois verticales, pics acérés et crêtes dentelées ; le golfe de Porto avec la réserve de Scandula où les falaises maritimes offrent une débauche de couleurs et de formes témoignant des fureurs volcaniques (orgues rhyolitiques, coulées d’ignimbrites…) ; les Calanches de Piana et le Capu Rossu ; mais aussi les gorges de la Spelunca, les aiguilles de Popolasca, la Scala di Santa Regina, les gorges de l’Ascu et celles du Prunelli, ou encore les aiguilles de Bavella.

 

Le sillon central

(3) Entre le cours moyen de l’Ascu et le Tavignanu, on observe la présence d’une dépression subméridienne, d’altitude moyenne inférieure à 800 mètres, qui offre la seule véritable voie de communication de l’intérieur de l’île. C’est par là que passent la RN193 et la ligne de chemin de fer reliant Ajaccio et Bastia. Ce sillon central est formé de plusieurs unités complexes à dominante sédimentaire peu ou pas métamorphisées, déposées durant le mésozoîque et cénozoïque (ères secondaire et tertiaire). Il montre des lambeaux de roches calcaires datant pour la plupart du Jurassique – écailles de Corte, falaises calcaires de Caporalino, Sant’Angelo de Lano, Pedani –, divers conglomérats d’origine et d’âges distincts, des marnes mais aussi des lambeaux métamorphisés du batholite et ceux d’un ancien océan ligure. Certaines de ces roches témoignent d’un milieu marin calme et peu profond typique d’une marge continentale, tandis que d’autres sont caractéristiques d’une mer plus profonde. Parmi les éléments les plus marquants dans ces paysages, on peut citer les falaises gris-bleu des calcaires de Caporalino et de Sant’Angelo, le blanc-gris des écailles cortenaises (promontoire de la citadelle de Corte, Razzu Biancu de Venaco) dont certains gisements furent exploités comme « marbre » d’ornement (pavage de certaines rues de Corte), et les petits sommets et collines qui ponctuent le sillon (Monte Tomboni, Monte Cecu).

(2) Le sillon se prolonge au nord de Ponte Leccia par la faille de l’Ostriconi. « U Canale », selon son toponyme évocateur, forme un couloir naturel emprunté par la RN197 qui relie le centre le l’île à la côte nord occidentale et à la Balagne. La faille marque le contact avec les roches magmatiques et métamorphiques des massifs du Tenda et de l’Agriate au nord. Au sud-ouest s’étend la nappe de Balagne, grand ensemble en majorité allochtone, montrant une mosaïque complexe de roches d’origines et d’histoires diverses : schistes lustrés et autres roches sédimentaires marines profondes, accompagnés de formations ophiolitiques dont les plus remarquables ici sont les laves en coussin, calcaires, grès et conglomérats. Cette nappe englobe grossièrement l’ensemble Ostriconi, ainsi que les unités A Culese, plaine et vallée de Tartagine, et vallée de Lagani. Elle se caractérise par des paysages aux reliefs relativement doux mais densément ramifiés, avec de nombreuses crêtes secondaires et des fonds de vallons où serpentent des cours d’eau. Certaines roches générant naturellement des sols rachitiques, comme les basaltes et serpentines, accentuent l’aridité de milieux fortement déboisés et dévastés par les incendies.

(4) Vers le sud-est, ce même sillon trouve un autre prolongement avec la vallée du Fium’Orbu et le spectaculaire défilé de l’Inzecca, creusés dans de dures serpentines et basaltes émaillés des placages rouge vineux de radiolarites (qui ont certainement donné son nom au hameau de Rosse). Dans la partie orientale de la vallée et des versants du Fium’Orbu, on retrouve une couverture autochtone en grande partie composée de sédiments détritiques provenant de l’érosion du batholite, ponctuée de quelques éperons et corniches d’origine ophiolitique.

 

La Corse orientale ou alpine

A l’est du sillon central, depuis le massif littoral du Cap Corse jusqu’aux vallées de Tagnone et du Fium’Orbu, s’étend un grand ensemble structural (dont il faut exclure les plaines orientales) constitué essentiellement de schistes lustrés avec leur cortège ophiolitique. De la nature des roches qui composent ces terrains, on peut déduire qu’ils sont les témoins de l’ancien océan liguro-piémontais d’âge mésozoïque. Les couches sédimentaires déposées au fond de cet océan, associées à des lambeaux de croûte océanique, ont été plus ou moins métamorphisées, déformées et transportées à partir du Crétacé supérieur par un phénomène d’obduction. Plus tard, à partir de 11 Ma, ces mêmes éléments ont été à nouveau remodelés puis exhumés lors de plusieurs épisodes de plissement contemporains de la formation des Alpes, donnant naissance aux reliefs actuels de la Corse schisteuse, dite aussi « Corse alpine ».

Bien que d’altitude et de vigueur plus modestes que les montagnes de la Corse cristalline, cet ensemble culminant au Monte San Pedrone (1767 m) n’en forme pas moins « un pays de relief tourmenté, découpé par un réseau hydrographique très ramifié » (Rossi et al. 1994). Comme le note Alain Gauthier, « les paysages constitués par les schistes et les ophiolites, s’ils sont moins célèbres que ceux de la Corse granitique, n’en sont pas moins attachants » : «  Vue de loin, en particulier des sommets de la Corse occidentale, la Corse schisteuse est massive, formée de croupes lourdes, mais les petites routes qui serpentent dans la Corse orientale révèlent un tout autre aspect. L’opposition entre les schistes qui se débitent facilement et les ophiolites beaucoup plus résistantes, donne une succession de reliefs aigus, de crêtes étroites, multipliant les vallées, localisant les villages sur des éperons rocheux. Les schistes ont donné naissance à des sols épais supportant sur les longues pentes la masse sombre des châtaigniers, alors que les roches vertes sont traversées en gorges étroites et profondes par les rivières » (Gauthier, 1983).

(1) Coincée au nord-ouest de ce grand ensemble structural entre l’Agriate et le massif du Cap Corse, la nappe du Nebbiu, autre système allochtone complexe, occupe la plus grande partie de l’amphithéâtre de l’ensemble Nebbiu-Conca d’Oru, lové au pied du croissant du massif de Tenda. Hormis la coquille d’huître formée par le calcaire d’âge miocène des Strette (formation sédimentaire, voir paragraphe suivant), on y retrouve en majorité des roches détritiques telles que conglomérats et grès, mais aussi et encore des lambeaux océaniques. Cette nappe, bien que grandement recouverte d’alluvions anciennes formant un sol où ont pu se développer le vignoble de Patrimonio et un bocage fertile, affleure en collines et promontoires qui compartimentent les coteaux et la plaine, en individualisant quelques éperons des versants.

 

Les plaines orientales et autres zones sédimentaires récentes

Bien que peu étendues, des formations sédimentaires post-orogéniques sont également présentes en Corse. Les plus remarquables correspondent à des lambeaux calcaires datées du Miocène, qui ont donné des paysages particulièrement originaux : au nord-ouest ce sont les blocs inclinés des strette de Sant’Angelo, formant des coteaux asymétriques, profondément lacérés en défilés par les ruisseaux qui traversent cette roche tendre ; et à la pointe sud de l’île, c’est le Piale ou plateau bonifacien, véritable causse terminé en falaises blanches et vertigineuses qui s’égrènent dans la mer. Les fertiles plaines orientales, aux douces ondulations que souligne la géométrie des vignobles, reposent en partie sur des calcaires de même âge. Une autre partie de leur substrat est formé de sédiments alluvionnaires plus récents datant du quaternaire. Le même type d’alluvions, parfois accompagnés de sédiments marins pliocènes et quaternaires (dans vallée de la Gravona par exemple), est également présent au débouché des grands fleuves qui traversent la Corse cristalline, où il participe souvent à la formation de plaines et piémonts littoraux, comme ceux de Balagne et du golfe d’Ajaccio.

 

Phénomènes érosifs, tectoniques ou autres marquant les roches affleurantes et intéressants d’un point de vue paysager

Outre la force structurante des grandes formations géologiques au niveau d’un territoire ou d’un site, de nombreux phénomènes agissant à des échelles plus réduites et suivant des modes distincts sont à l’œuvre, façonnant et sculptant le substrat et les roches en une multitude de motifs participant au caractère et à l’identité des différents paysages.

Certains modes de mise en place et de formation des roches ont ainsi donné des structures en strates d’épaisseurs et de couleurs différentes, qui ont subi à leur tour des déformations produisant des basculements, des plissements ou des cassures. Souvent, lorsque ces structures orientées sont de grande ampleur dans le paysage, elles peuvent lui imprimer une sorte de mouvement.

Par ailleurs, après leur mise en place, le substrat et les roches affleurantes, c’est-à-dire visibles à la surface, sont constamment soumis aux agents érosifs et climatiques, véritables sculpteurs de paysages. Suivant la nature de l’érosion, le type de roche et la résistance des minéraux qui la composent, mais aussi l’échelle du regard, on observe une grande diversité de motifs. En montagne à grande échelle, on retrouve toutes les empreintes laissées par le passage des glaciers : vallées perchées en forme de « U » (en auge), amphithéâtres des cirques et cuvettes abritant parfois des lacs, bourrelets linéaires ou en croissant des moraines, cornes effilées… Autre motif très caractéristique de la Corse, celui des tafoni : ces cavités de tailles et de formes variables observables depuis le bord de mer jusqu’en montagne sur de nombreux types de roches, résultent du lent travail de creusement de la matière minérale sous l’effet conjugué du vent et de l’alternance de périodes d’humidité et de sécheresse. Les tafoni qui ont servi parfois d’abris pour les hommes, contribuent à l’originalité de nombreux paysages de l’île. Certains granites relativement friables, subissant une altération progressive à partir de cassures de la roche, finissent par former des « boules », masses arrondies enveloppées et enfouies sous les arènes produites par l’érosion ; lorsque ces sables sont lessivés, ils peuvent mettre au jour de gigantesques empilements chaotiques, comme ceux représentatifs des paysages du massif de Cagna. Sur des granites plus résistants, on peut observer la formation de grandes dalles polies convexes qui se débitent en pelures d’oignon, et où le ruissellement de l’eau laisse apparaître des bandes noires dans le sens de l’écoulement ; sur les parois les plus raides et les plus massives se forment parfois des cannelures caractéristiques.

 

Les roches et les hommes

En Corse, l’empreinte du substrat sur les paysages bâtis repose notamment sur l’emploi quasi exclusif, des siècles durant, des matériaux locaux par l’architecture traditionnelle. Cet usage de la ressource, tout comme le vocabulaire et les styles architecturaux qui y sont associés, découlent sans doute plus de la contrainte – la nécessité d’utiliser les matières premières disponibles pour construire maisons et villages – que d’un souci esthétique. En tout état de cause, il a participé à la constitution d’un patrimoine ainsi qu’à la formation d’une partie de l’identité paysagère et culturelle des principales microrégions de l’île.

Outre l’aspect pratique et économique (minerais et matériaux de construction), de nombreuses roches ont été ou sont toujours utilisées pour leur valeur ornementale : c’est le cas notamment du célèbre vert d’Orezza, issu d’un gisement d’ophiolite situé près de la localité du même nom en Castagniccia, et de la diorite orbiculaire provenant de l’Alta Rocca. Ces deux roches ont alimenté pendant longtemps l’artisanat local.

 

Bref lexique des termes employés

(Source : d’après Foucaud & Raoult, 2006)

Allochtone, autochtone

Allochtone désigne ici des terrains déplacés d’un substratum à un autre par l’effet d’un processus tectonique (nappe de charriage par exemple). Autochtone est un antonyme d’allochtone.

Amiante

Minéraux silicatés fibreux textiles, résistant au feu. En corse il s’agit souvent de serpentines. L’amiante a été exploité dans le gisement de Canari (Cap Corse).

Arsenic

Corps proche des métaux. On le trouve souvent associé au nickel, au cobalt ou à l’argent dans les filons sous la forme de minerais tels que l’arsénopyrite, le réalgar et l’orpiment.

Depuis l’âge du bronze et l’antiquité jusqu’à nos jours, l’arsenic a fait l’objet d’usages multiples : utilisé en métallurgie pour améliorer la résistance et la dureté de certains métaux, il entre aussi dans la fabrication de pigments, poisons, pesticides, et applications industrielles diverses (batteries, électricité, électronique).

Batholite

Se dit d’un massif étendu de quelques kilomètres à plus de cent kilomètres, constitué de roches magmatiques plutoniques et montrant sur une carte une section circulaire à elliptique.

Caldeira

Cratère géant de quelques km à quelques dizaines de km, à contour circulaire ou elliptique, ou encore festonné s’il s’est constitué en plusieurs étapes. De tels cratères sont produits le plus souvent par effondrement de la partie centrale des volcans, la chambre magmatique sous-jacente ayant été en partie vidée par des éruptions.

Conglomérat

Roche sédimentaire détritique formée au moins pour moitié de débris de roches plus ou moins grossiers (supérieurs à 2 mm et souvent centimétriques à décimétriques), liés par un ciment. Ces conglomérats dus le plus souvent à l’érosion de roches préexistantes mises en relief, sont à ce titre les témoins de phases orogéniques.

Faille

Cassure de terrain avec déplacement relatif des parties séparées (compartiments).

Faille normale, faille inverse

Une faille normale est une cassure dont le déplacement (rejet) correspond à une distension, c’est-à-dire dont les compartiments s’écartent. Dans le cas d’une faille inverse, le rejet correspond à un raccourcissement : il y a alors chevauchement du compartiment situé au dessus du plan de faille.

Ignimbrite

Du latin ignis, feu et imbris, pluie.

Roche formée par accumulation de débris de laves de type rhyolitiques soudés à chaud, à aspect de ponce ou de lave un peu fluidale. Ces roches d’aspect massif proviennent d’éruptions explosives catastrophiques (nuées ardentes) et peuvent couvrir très rapidement des surfaces de plusieurs dizaines de milliers de km².

Magmatisme

Ensemble des phénomènes liés à la formation, aux déplacements et à la cristallisation des magmas. Un magma étant un liquide constitué d’une roche fondue à haute température (au moins 600°C), qui se retransforme en roche par solidification après refroidissement.

Marnes

Roches sédimentaires formées d’un mélange de calcaire et d’argile. Moins compactes que les calcaires, elles ont souvent un aspect terreux.

Métamorphisme

Transformation d’une roche à l’état solide du fait d’une élévation de température et/ou de pression. Dans les grandes chaînes plissées, le métamorphisme est responsable de la formation de schistes, micaschistes et gneiss.

Ophiolite

Appelées aussi serpentines ou « roches vertes ». On parle également de cortège ou de série ophiolitique. Ces termes désignent un ensemble complexe de roches magmatiques basiques à ultrabasiques (péridotites, gabbros et basaltes en coussin (effusions sous-marines). Il représenterait des portions de croûte océanique et du manteau supérieur d’anciens océans, qui auraient été charriées sur de la croûte continentale.

Orogénie

Tout processus conduisant à la formation de reliefs.

Radiolarite

Roche sédimentaire siliceuse à radiolaires (protozoaires marins pélagiques à squelette siliceux), colorée en général en rouge ou rouge violacé par des oxydes de fer. Ces roches constituent fréquemment la couverture sédimentaire des ophiolites.

Rift

Il s’agit de fossés d’effondrement aux bords surélevés présentant une activité volcanique plus ou moins forte. On les trouve en milieu océanique et continental. Ils sont directement liés à des zones d’extension de plaques, et marquent généralement les stades précoces d’ouvertures océaniques ou de séparation de plaques continentales.

Roches magmatiques

Roches résultant de la cristallisation d’un magma.

Lorsque la solidification se fait en profondeur au cours d’un refroidissement lent on parle de roche plutonique montrant des cristaux bien formés, ou roche cristalline. C’est le cas par exemple des granites.

Lorsque la solidification du liquide ou de la pâte (lave) se produit en surface (à l’air libre ou sous l’eau), le refroidissement plus rapide ne laisse pas ou peu de temps à la formation de gros cristaux. On obtient alors une roche vitreuse contenant de petits cristaux, dite aussi roche volcanique, extrusive ou effusive. C’est le cas par exemple des basaltes et des rhyolites

Schistes lustrés

Ensembles métamorphiques composés principalement de calcschistes du faciès des schistes verts et/ou des schistes bleus constituant, dans les Alpes, de grandes nappes issues du domaine interne piémontais (Foucaud & Raoult, 2006).

On regroupe sous le nom de « schistes lustrés » des roches sédimentaires variées, associées géométriquement à des ophiolites et inégalement transformées par les tectoniques et les métamorphismes alpins. Ces formations sont constituées de roches vertes de nature ophiolitique ainsi que de leur couverture sédimentaire, d’âge jurassique supérieur à crétacé (Loÿe-Pilot et al, 1994).

Subduction, obduction et collision

Le terme de subduction désigne l’enfoncement d’une partie de la croûte terrestre, ou lithosphère, sous une autre. En général, une lithosphère océanique (plus dense) s’enfonce sous une lithosphère continentale (plus légère), conduisant à la création d’une fosse océanique et d’un volcanisme actif.

Le terme d’obduction dérive du latin obductio, action de recouvrir ; chevauchement d’une vaste portion de croûte océanique (représentée par des complexes ophiolitiques) sur une zone de croûte continentale.

La collision correspond à l’affrontement de deux masses continentales résultant de la fermeture d’un domaine océanique intermédiaire, et s’accompagnant de déformations très importantes (orogenèse, chaîne de collision).

Tectonique

C’est l’ensemble des déformations ayant affecté des terrains géologiques postérieurement à leur formation ; par extension, le terme désigne également les mécanismes d’acquisition de ces déformations ainsi que leur étude.

Bibliographie

Arrighi J., Giorgetti F., Les roches ornementales de Corse. Editions Le Temps Retrouvé, 1991.

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* Déclaration internationale des droits de la mémoire de la Terre, adoptée lors du 1er symposium international sur la protection du patrimoine géologique sous le patronage de l’UNESCO, à Digne en 1991.

Les éléments de la végétation de la Corse, ses particularités au travers d’espèces endémiques – et pour certaines emblématiques comme le pin laricio –, sa luxuriance parfois, ainsi que sa grande diversité depuis le littoral jusqu’aux plus hauts sommets, contribuent fortement à forger l’identité paysagère de l’île, au même titre que ses roches et son relief.

Du fait justement de l’existence de ce relief très montagneux, on observe une « stratification » de la couverture végétale en fonction de l’altitude et de l’exposition, permettant de distinguer différents étages de végétation. Ces étages sont l’expression combinée d’un climat et d’une flore. La Corse, de par sa topographie, présente une dualité où se juxtaposent deux régions florales. Ainsi, les étages de basse altitude sont de type méditerranéen, tandis que ceux d’altitude (à partir de 1000 à 1300 mètres) présentent de fortes affinités eurosibériennes.

 

L’étage thermoméditerranéen

De 0 à 100 mètres, expositions sud et sud-ouest.

Comme son nom l’indique, il s’agit d’un étage de stations chaudes, protégées des vents froids hivernaux et où les températures minimales descendent rarement sous les 5°C. Il est souvent réduit à un liseré côtier, interrompu au débouché des grandes vallées (à cause des vents froids hivernaux qui y circulent), se développant en mosaïque avec les milieux littoraux ou formant des ceintures irrégulières entre les groupements littoraux et les maquis.

L’étage thermoméditerranéen se caractérise par des formations arbustives à feuillage persistant ou perdant leur feuillage durant la période sèche, où dominent le lentisque, le genévrier de Phénicie, la bruyère arborescente et l’arbousier. Dans les secteurs les plus exposés aux vents, cette végétation forme un matorral dense sculpté par le vent et les embruns. Sur les sols les plus dégradés ou sur les côtes rocheuses et les falaises, on trouve des groupements à euphorbe arborescente, aux couleurs changeantes au fil des saisons, du vert tendre au rouge en passant par le jaune des floraisons. Les sols sableux (en général les sables littoraux fixés et dunes) accueillent des fourrés et bois de genévriers de Phénicie et/ou de genévriers à gros fruit. A l’arrière de certaines plages ont été introduits le pin d’Alep (Saleccia) et le pin pignon (Palombaggia), mais aussi l’eucalyptus (sur la côte orientale notamment), formant de beaux peuplements devenus indissociables du paysage de ces sites. Ce n’est que sur le piale bonifacien que se développent des maquis et bois de chênes verts thermophiles recolonisant d’anciennes cultures d’oliviers.

Les rives des cours d’eau intermittents présentent quant à elles une végétation de fourrés à gattilier, parfois de lauriers roses (dans la région de Saint-Florent) et de tamaris.

Les milieux ouverts se caractérisent par des pelouses où dominent les espèces annuelles.

En raison de sa situation, cet étage, tout comme les milieux littoraux avec lesquels il s’imbrique, est souvent fortement « perturbé ». En effet, la douceur du climat et la proximité de la mer en font un espace privilégié pour l’installation de centres de villégiature balnéaires, de lotissements et d’un habitat résidentiel secondaire diffus (rive sud du golfe d’Ajaccio, côtes entre Solenzara et Bonifacio, golfe du Valincu). Par ailleurs, de nombreuses espèces introduites à vocation ornementale ont tendance à s’y naturaliser (agaves, figuiers de barbarie, griffes de sorcière…).

L’étage mésoméditerranéen

Horizon inférieur : 0-400 m (exposition nord), 100-600 m (exposition sud).

Horizon supérieur : 400-700 m (exposition nord), 600-1000 m (exposition sud).

C’est l’étage dont la végétation occupe en Corse les superficies les plus importantes. Domaine par excellence des maquis, il se déploie depuis le bord de mer jusqu’à près de 1000 mètres d’altitude aux adrets dans son horizon supérieur. D’un point de vue climatique il se caractérise par des températures relativement douces, et malgré la grande amplitude des précipitations qui peuvent varier de 500 à 1100 mm par an, par l’existence d’un creux pluviométrique estival de trois à quatre mois typique des régimes de type méditerranéen. La végétation s’est adaptée à ces contraintes, et surtout à longue période de sécheresse annuelle. Dans les zones les plus chaudes et/ou à sols peu développés, les maquis et forêts sont ainsi composés d’arbres et arbustes sempervirents, montrant des adaptations morphologiques telles que sclérophyllie ou microphyllie. Parmi les herbacées on note la présence de plantes grasses (Sedum), tandis que les espèces annuelles dominent dans les pelouses de cet étage. Dans les milieux aux sols plus épais et plus humides, donc principalement à l’horizon supérieur, on voit apparaître des arbres caducifoliés tels que le châtaignier et le chêne pubescent.

C’est certainement l’étage où l’occupation humaine a le plus durablement transformé, marqué et façonné les paysages. En effet, ces espaces de piémonts et de moyenne montagne ont été très tôt modelés par l’homme et ses activités : ouverture de milieux favorables aux cultures, exploitation du bois, impacts du pastoralisme et des incendies… C’est aussi à ce niveau qu’ont été implantés la quasi-totalité des villages de l’intérieur. Depuis la déprise agricole, la plupart des vestiges de ces paysages d’autrefois – vergers d’oliviers, terrasses de cultures, paillers, murs de pierre sèche, charbonnières, aires à blé (aghje), chemins…– disparaissent sous la couverture forestière (forêt de chêne vert principalement) qui recolonise les pentes. Il faut se promener à pied sur les sentiers gardés ouverts dans la végétation dense, pour redécouvrir tout ce petit patrimoine rural abandonné. Retournés à leur évolution « naturelle », les versants ne sont plus guère perturbés que par les incendies qui laissent de grandes cicatrices et des paysages désolés pour plusieurs décennies, quand ils ne sont pas complètement dégradés. Seuls les fonds de vallées les plus amples et les plaines fertiles conservent encore bien vivants des paysages agricoles ou bocagers (pâturages, vignes, vergers de fruitiers…), néanmoins menacés par les expansions péri-urbaines et l’habitat résidentiel diffus qui les grignotent quand ils sont proches de centres urbains (ensembles des plaines et piémonts, des plaines et des vallées).

Les principales formations végétales de l’étage mésoméditerranéen sont les maquis à bruyères et arbousier, composant un « paysage végétal sobre, parfois sévère, mais beau » (Collectif, 2002). Cette végétation haute et dense semble avoir dominé la flore primitive de l’étage et c’est la main de l’homme, en ouvrant les milieux (coupes, feux), qui a ensuite favorisé l’expansion des chênes. On trouve divers stades de maquis mais c’est certainement cette formation qui couvre les plus vastes superficies, au point que l’on peut souvent contempler des « mers de maquis ».

Les forêts de chêne vert (yeuseraies) se sont surtout bien développées là où la pression humaine ne s’est pas exercée trop fortement au cours du dernier siècle (vallée du Fangu, vallée du Taravu) ; plus généralement on les retrouve en mosaïque avec les maquis. De leur côté, les forêts de chêne liège (suberaies), autrefois favorisées par l’homme pour la culture en vergers clairs (encore pratiquée dans les plaines et piémonts du sud-est de l’île), sont cantonnées à l’horizon inférieur de l’étage et sur les substrats meubles.

On rencontre encore à ce niveau de belles et importantes forêts de pin maritime, hélas menacées par un ravageur, la cochenille du pin (Matsucoccus feytaudi, découvert en 1994), qui se répand lentement et risque de décimer les peuplements à plus ou moins long terme. A l’horizon supérieur apparaissent des bois de chêne pubescent qui profitent de la baisse de la pression anthropique pour regagner du terrain sur les sols profonds bien conservés. Le châtaignier est le plus souvent localisé dans les vallons frais près des villages, sauf en Castagniccia où il occupe des surfaces beaucoup plus étendues.

Viennent ensuite toutes les formations de fruticées basses ou naines, résultant de la dégradation des maquis et forêts par les incendies, ou s’installant dans les anciennes cultures et pâturages. Les cistes et les nombreuses espèces d’arbustes nains aromatiques qui y abondent fournissent les composantes les plus épicées du paysage olfactif de l’île. En outre, lavandes, romarins, genêts, stachys, germandrées, immortelles, santolines, myrtes, etc., parent le maquis au printemps d’une vaste palette colorée.

L’étage supraméditerranéen

700-1000 m (exposition nord).

1000-1300 m (exposition sud).

Matérialisé par une ceinture de végétation sur la frange inférieure des massifs d’altitude supérieure à 1000 mètres, cet étage se singularise sur le plan climatique par une augmentation des précipitations par rapport aux étages inférieurs (800 à 1500 mm par an), des températures hivernales plus rigoureuses et une saison sèche estivale plus courte. Cela se traduit par une forte progression des bois et forêts où dominent les essences caducifoliées. Les ambiances sylvatiques y sont très marquées et très diverses, avec en général une forte présence des espèces d’origine eurosibérienne.

On y trouve ainsi des taillis et futaies de chêne pubescent (en mélange avec le chêne sessile), toutefois peu étendus, car en phase de recolonisation après quelque 2000 ans de contention par la main de l’homme. On peut les observer entre autres dans la Castagniccia intérieure, le Giussani, le haut Taravu, les vallées du Prunelli et du Fium’Orbu. Des châtaigneraies sont disséminées sur toute l’île, à proximité des villages. Elles subsistent le plus souvent sous la forme de vergers, leur exploitation économique ayant largement contribué au maintien voire à l’expansion de « l’arbre à pain » de longs siècles durant. Le quasi abandon actuel de cette culture laisse la plupart des châtaigniers sans soins ; alors que de nombreuses maladies les ont déjà affaiblis, parfois décimées, la présence d’un nouveau ravageur – le cynips du châtaignier – vient d’être confirmée en Corse malgré des mesures de prévention. Cependant en Castagniccia intérieure et sur les versants et piémonts de Tavagna, Morianincu et Campuloru, là où la châtaigneraie a pris en Corse sa plus grande extension, ces vergers délaissés se diversifient grâce à l’arrivée de l’aulne cordé et du charme-houblon. Ces micro-régions possèdent encore de vraies forêts mixtes peu impactées par l’homme, où les châtaigniers cohabitent avec les espèces citées plus haut et une riche strate arbustive de frênes, tilleuls cordés, houx, et mêmes noisetiers (rares en Corse). La strate herbacée y est elle aussi très riche, notamment en espèces d’affinités eurosibériennes.

Dans l’horizon supérieur, aux conditions beaucoup plus fraîches, on trouvera essentiellement, sur les sols en général plus épais de la Corse dite alpine, des bois d’aulne cordé et des buxaies mixtes (formations plus basses et plus ouvertes) présentant des cortèges similaires à celui de la châtaigneraie mais où l’if et le houx peuvent être abondants. Ces derniers forment d’ailleurs dans le Tenda des peuplements spécifiques résiduels, derniers représentants des anciennes formations arborées du massif, désormais confinés aux reliefs d’accès difficile. A ce niveau supérieur on peut aussi rencontrer ponctuellement les franges inférieures des hêtraies de l’étage montagnard, généralement confinées dans des ravins assez humides.

Hormis ces peuplements caducifoliés, l’étage supraméditerranéen abrite également des forêts de chêne vert, formant aux expositions ouest et sud et dans les secteurs à sols superficiels ou dégradés une ceinture de transition entre les forêts mésoméditerranéennes et les hêtraies de l’étage supérieur (entre 800 et 1100 md’altitude). Des forêts de pin laricio – souvent pionnières des milieux en phase de fermeture – et de pin maritime – ce dernier à l’horizon inférieur – se développent parfois en mélange.

Les formations suivantes viennent compléter la végétation de l’étage :

– de remarquables peuplements relictuels de genévrier thurifère (ou genévrier porte-encens) disséminés dans le Niolu et l’Ascu,

– des maquis à bruyères en général liés aux feux,

– des fruticées de recolonisation forestière où dominent les ronces, églantiers, aubépines, poiriers sauvages et pruneliers ainsi que la fougère aigle,

– des fruticées naines à genêt en coussin (genêt de Salzmann) et immortelle d’Italie, en mosaïque sur les sols les plus maigres et régulièrement pâturés, et quelques pelouses où dominent les herbacées vivaces.

L’étage montagnard

Variante eurosibérienne : 1000-1600 m (exposition nord).

Variante méditerranéenne : 1300-1800 m (exposition sud).

Cet étage connaît des précipitations moyennes de 1300 à 2000 mm par an, fréquemment sous forme de neige en hiver, et une saison sèche n’excédant pas un mois toutefois souvent atténuée par des nébulosités. La rudesse des hivers exclut les arbres et arbustes sclérophylles. S’agissant des groupements forestiers, l’étage se caractérise ainsi par la présence des hêtraies, sapinières et forêts de pin laricio, puis des bosquets d’if et de houx.

Les peuplements forestiers sont exploités depuis longtemps par l’homme, et la gestion de sylviculture actuelle favorise parfois des forêts mixtes où hêtres et laricio se mélangent ou forment des mosaïques (forêt de Sant’Antone dans le haut Taravu par exemple), bien que le plus souvent la sélection se fasse en faveur du laricio ; mais beaucoup de forêts ont été coupées afin de favoriser les milieux ouverts propices au pâturage.

Les fruticées naines où dominent le genévrier nain, l’épine-vinette de l’Etna et le genêt faux lobel sont bien présentes. Les pelouses d’altitude abritent des cortèges d’espèces essentiellement vivaces ; elles se maintiennent généralement grâce au pâturage qui leur donne un aspect de gazon ras. Celles installées sur les sols épais et humides, voire tourbeux, prennent l’aspect de pozzines (ou pozzi), ces joyaux paysagers des zones humides de la montagne corse – présents à ce niveau bien que plus spécifiques de l’étage subalpin.

C’est à l’adret de l’étage montagnard que l’on trouve la plupart des bergeries, si typiques des paysages de montagne de l’île avec leur maisonnettes de pierre sèche, leurs enclos et couloirs de traite, ainsi que leurs casgile – ces petites constructions plus ou moins rondes, basses et au toit plat en terre végétalisée qui servent à la maturation et conservation du fromage fabriqué pendant les estives. Les activités pastorales ont grandement contribué à façonner, maintenir et même étendre les fruticées de cet étage, dominées par les buissons bas, le plus souvent épineux et en coussinets, adaptations efficaces tant contre le pâturage des troupeaux que contre la sécheresse.

Les hêtraies présentes dans tous les grands massifs de l’île, à l’exception de celui de Tenda (où elles sont remplacées par des bosquets d’if et de houx) et des zones rhyolitiques (massif du Cintu), se répartissent essentiellement aux ubacs et dans les fonds de vallons. Elles peuvent toutefois occuper tout l’étage si le climat est très humide et nébuleux, comme c’est le cas dans le massif du San Pedrone et sur le nord du plateau du Cuscionu. Le sapin, bien qu’occupant une niche écologique très proche de celle du hêtre, montre une répartition plus restreinte et éparse car il semble préférer des températures plus basses. Il se substitue au hêtre dans les secteurs les plus froids de l’étage. Mais on trouve également des peuplements mixtes (hêtraies sapinières), et en absence du hêtre, le sapin peut occuper tout l’espace comme sur le massif de Bavella et celui de Cagna.

Les forêts de pin laricio occupent quant à elles l’adret de l’étage, ainsi que les secteurs presque dépourvus de sols ou dégradés où cet arbre joue alors un rôle de pionnier. Certains replats alluvionnaires et reliefs peu accusés sont occupés par de superbes formations denses de laricio, donnant une sensation de forêt cathédrale au sous-bois sombre. C’est cette capacité à occuper les substrats rocailleux et surtout rocheux qui permet à l’espèce d’« habiller » les versants et falaises rocheux les plus inaccessibles, formant un motif du paysage naturel si emblématique de la montagne corse, avec ses individus énormes au fût droit et long, et le port en drapeau du houppier.

Le bouleau constitue un dernier élément forestier important à ces altitudes en Corse : aimant la lumière, c’est un pionnier de recolonisation forestière, comme le laricio mais plus exigeant en humidité, qui prépare le milieu pour les autres espèces arborées ayant besoin d’ombre pour se développer, tels le hêtre ou le sapin. Dans les grands massifs forestiers (Valdu Niellu par exemple), le bouleau peut ainsi occuper d’amples clairières ou d’anciennes pâtures abandonnées, enrichissant les palettes des paysages forestiers par son feuillage léger aux tons vert tendre.

L’étage cryo-oroméditerranéen

1800-2200 m, exposition sud

Bien développé sur les adrets et crêtes des principaux massifs montagneux, c’est le pendant de l’étage subalpin, qui occupe les zones d’ubac à peu près à la même tranche altitudinale. Cet étage se caractérise par la disparition des espèces arborées et donc des milieux forestiers. Il nous plonge au cœur même du type paysager du massif montagneux. C’est le domaine des fruticées naines qui forment l’essentiel du paysage végétal, en mosaïque avec des pelouses vivaces mais rases et souvent très écorchées, laissant apparaître le sol nu, arénacé et soumis à une forte érosion éolienne, des éboulis et des affleurements rocheux.

La végétation de l’étage cryo-oroméditerranéen est soumise à de fortes rigueurs climatiques, avec une période sèche inférieure à un mois et des précipitations qui tombent essentiellement sous forme de neige. La fonte précoce du manteau neigeux expose les végétaux à de fortes températures dès la fin du printemps puis à une intense insolation en été. Ces contraintes climatiques, auxquelles s’ajoute l’absence de couverture arborée, entraînent un important assèchement des sols qui favorise les espèces d’affinités méditerranéennes adaptées à la sécheresse, bien souvent épineuses et au port en coussinets, avec plus de 40 % d’espèces endémiques.

L’influence directe de l’homme est bien moindre ici qu’aux autres niveaux, si ce n’est la présence de quelques rares bergeries et surtout des troupeaux en estive qui entretiennent les maigres pelouses, localisées fréquemment à proximité immédiate des crêtes. Les zones de reposoirs sont souvent dénudées par le pâturage et le piétinement des troupeaux. Les fruticées de cet étage sont également soumises à un pâturage intense multiséculaire qui a sans doute grandement contribué à façonner ces milieux, favorisant localement l’érosion des sols et sélectionnant par refus les espèces épineuses. Parmi les espèces les plus spécifiques, on trouve le genêt faux lobel, l’erba barona (thym corse), l’anthyllide faux Hermannia, l’astragale du Gennargentu ainsi que l’épine-vinette de l’Etna et le genévrier nain.

L’étage subalpin

1600-2100 m (exposition nord)

Cet étage s’étend aux ubacs et sur certains substrats humides et frais enclavés dans le niveau cryo-oroméditerranéen, depuis le massif du Cintu jusqu’à celui de Bavella. On est ici au dessus des limites forestières, sauf dans certains secteurs de l’horizon inférieur où l’on trouve encore des sapinières, comme par exemple dans la vallée du Verghjellu ou dans le massif de Bavella où elles occupent de grandes surfaces.

Dans cette strate aux hivers rigoureux, la plupart des précipitations se font sous forme de neige entre novembre et mai avec un creux estival d’un mois environ, fortement atténué par de fréquentes nébulosités et un faible ensoleillement. Ce dernier entraîne une fusion lente du couvert neigeux alimentant régulièrement en eau le sol et les végétaux. Dans de telles conditions de fraîcheur, l’une des formations dominantes, présente sur de grandes étendues, est l’aulnaie odorante avec son  espèce éponyme : l’aulne odorant, essence caractéristique du paysage végétal de la haute montagne corse, par son odeur autant que par ses couleurs qui soulignent les ubacs de larges taches vert sombre en été. Ramifié dès la base et dépourvu d’un vrai tronc, cet arbuste est doté de branches et de rameaux très flexibles – une adaptation lui permettant de supporter le poids de la neige sans casser – qui s’entremêlent pour créer des fourrés denses, d’accès peu aisé et qu’il vaut mieux éviter de traverser. Au dessus de l’aulnaie, on trouve quelques petites essences arborées agrémentant cette formation, tel que le sorbier des oiseleurs avec ses troncs couleur rouille parfois tortueux, sa belle floraison blanche et parfumée, et surtout ses grappes écarlates saupoudrant le paysage dès la fin de l’été. L’érable sycomore et dans une moindre mesure le bouleau comptent parmi les autres essences de la strate arborée. Dans les clairières de l’aulnaie ou en mosaïque se développent des fruticées à genévrier nain ainsi que des pelouses vivaces, d’aspect ras, riches en espèces endémiques dont la benoîte des montagnes, la sagine corso-sarde, le plantain corso-sarde, l’euphrasie naine, le nard et d’autres graminées et luzules présentes en abondance.

En marge des aulnaies ou bien dans les couloirs et ravins frais, l’étage subalpin abrite des groupements à hautes herbes : les mégaphorbiaies, caractérisées par leur grand feuillage et leurs fleurs voyantes où l’on trouve fréquemment la valériane à feuilles rondes, l’adénostyle de Briquet, l’impératoire, quelques luzules et la myrtille.

Enfin, des pelouses humides, les pozzines, véritables tourbières d’altitude propres à la Corse, composent des ensembles remarquables. Leur couleur profondément verte qui tranche en été sur les paysages environnants, et l’impression de fraîcheur qui s’en dégage, donnent à ces pelouses régulièrement broutées par le bétail (bovins et équins surtout) l’aspect d’un gazon bien entretenu. « Lorsque à cela s’ajoute la présence de nombreux trous d’eau (pozzi), aux formes particulièrement harmonieuses, on a l’impression de contempler là l’œuvre d’un paysagiste génial » (Gamisans, 1999). Outre leur esthétique intrinsèque, ces pozzines sont les témoins d’une évolution géodynamique des montagnes corses depuis la fonte des glaciers qui l’occupaient il y a 12 000 ans : les vallées, cirques ou cuvettes creusés par les formations glaciaires ont ensuite abrité des lacs qui par comblement sédimentaire progressif, se sont lentement transformés en tourbières. Tous les stades d’évolution lacustre y sont représentés. Les pozzines marquent singulièrement les paysages naturels de la montagne insulaire et constituent un attrait touristique indéniable, comme en témoigne la très forte fréquentation estivale de certains sites comme les pozzi du Renosu ou le lac de Ninu.

L’étage alpin

2100 (2200)-2700 m

Cet étage occupe la dernière tranche altitudinale des plus hautes montagnes de l’île : les massifs du Cintu, du Ritondu-Monte d’Oru et plus marginalement celui du Renosu. D’un point de vue climatique, il est très proche du subalpin, avec toutefois des températures moyennes annuelles plus faibles, proches ou inférieures à 0°C, et des écarts journaliers très importants. Là aussi, le creux estival des précipitations, d’une durée moyenne d’un mois, est grandement compensé par les fréquents brouillards qui baignent les sommets à partir de la mi journée, et par l’eau provenant de la fonte progressive du manteau neigeux qui peut persister par endroits jusqu’au début du mois de juillet. A ces conditions climatiques s’ajoutent des vents fréquents et violents ainsi que de fortes insolations.

En dehors de la période allant de la fin de l’automne au printemps, où le manteau neigeux recouvre les sols, les paysages très sauvages de cet étage sont marqués par la présence éparse d’une maigre végétation herbacée. Il ne pousse plus ici aucun arbuste. Les sols rachitiques se résument à des sables grossiers et graviers, et le substrat est constamment visible, sous forme de falaises et de parois rocheuses, ou d’éboulis et de pierriers anguleux aux sonorités métalliques. Sur ces hauteurs on a souvent la sensation d’être dans un désert d’altitude : cette ambiance de désert minéral est particulièrement sensible là où les conditions sont les plus sévères, c’est-à-dire au niveau des adrets et des crêtes, où les arènes et pierriers dominent sur les petites taches éparses des pelouses. C’est pourtant là que l’on trouve le plus grand nombre d’espèces endémiques de l’étage, tels que le calament corse, la marguerite tomenteuse, l’erba muvrella ou l’erba di u Babbu. La végétation d’ubac, bénéficiant d’une plus longue persistance de la neige – jouant ici un rôle protecteur pour les végétaux –, se singularise quant à elle par la présence de pelouses vivaces rases à fort recouvrement, même si les surfaces occupées restent réduites.

Mis à part les timides mouflons, seuls des troupeaux de chèvres ou de brebis et quelques randonneurs ou montagnards en quête de sommets à conquérir fréquentent en été les pelouses d’altitude les plus accessibles.

Les Milieux azonaux (non cartographiés)

Formations halophiles du littoral

L’île possédant plus de 1000 kilomètres de rivages, on y trouve une grande variété de milieux littoraux. Bien que les côtes rocheuses soient prédominantes, ces bords de mer présentent une grande diversité tant par leurs caractéristiques topographiques que géologiques. Ainsi, les côtes sableuses, formant un chapelet discontinu de golfes, baies et anses sur les rives ouest, sud et sud-est de la Corse, s’étirent en longs cordons parfois couverts de beaux complexes dunaires sur le littoral de la plaine orientale. Outre le type de substrat, les végétaux des milieux littoraux doivent composer avec une plus ou moins forte présence de sel dans les embruns, l’eau et les sols. C’est pourquoi on parle en général de végétaux halophiles ou semi-halophiles.

Sur les côtes rocheuses, on distingue une zonation plus ou moins nette de la végétation suivant le degré d’exposition aux embruns – et donc au sel –, avec des variations suivant la topographie (replats, falaises) et la nature du substrat (silice ou calcaire). Si les groupements des rochers restent souvent assez discrets car peu recouvrants, ceux des secteurs terreux à rocailleux peuvent former sur les sols siliceux une ceinture grise à immortelle dominante (jaune doré lors de la floraison), bien visible dans le paysage. Dans les mêmes conditions mais sur sol calcaire se développe une ceinture où dominent les petits arbustes en coussinets tels que l’astragale de Marseille.

La végétation des plages et des dunes se caractérise de son côté par une succession de plusieurs groupements, souvent en mosaïque suivant les degrés d’évolution, dont les espèces sont pour la plupart bien adaptées aux substrats mobiles et très filtrants des sables (végétation dite « psammophile »). D’une manière générale, ces milieux des côtes sableuses sont très perturbés par les nombreux impacts des aménagements et usages touristiques dont le littoral fait l’objet, ainsi que par le piétinement et le passage de véhicules tout-terrain. Principalement sur les rives de la plaine orientale, la dynamique du trait de côte, naturellement très active, connaît  localement des phénomènes d’érosion intense dus à de mauvais aménagements (construction de digues artificielles pour l’implantation de ports, etc.). La morphologie des plages comme la végétation très adaptée qu’elles abritent se voient de plus en plus dénaturées par cette pression de l’urbanisme balnéaire qui conduit à l’artificialisation et à la banalisation des paysages de bord de mer.

Eaux douces et saumâtres, ripisylves et cours d’eau

Échappant la plupart du temps aux conditions de sécheresse estivale inhérentes au climat méditerranéen, ainsi que partiellement au gradient thermique des étages, la végétation qui pousse au bord des cours d’eau et des étangs d’eau douce ou saumâtre, contraste par ses formes et sa composition avec celles des milieux qui l’environnent. Pour cette raison, ces formations végétales hygrophiles et ripicoles représentent le plus souvent un élément important, voire structurant dans le paysage. Sans entrer ici plus avant dans le détail des différents types de peuplements, on peut distinguer les ensembles les plus marquants.

Les mares et étangs d’eau douce accueillent une végétation inondée le plus souvent disposée en ceintures concentriques, matérialisant un gradient de profondeur décroissant depuis le centre du plan d’eau vers les berges. Ainsi se succèdent :

– une végétation submergée et flottante à lentilles d’eau, potamots, nénuphars et certaines renoncules aquatiques ;

– des roselières parfois luxuriantes, dépassant souvent les trois mètres de hauteur, où poussent en association avec le roseau différentes espèces  telles que des scirpes, des iris, la massette, la grande salicaire ou la guimauve officinale ;

– puis souvent en transition avant la terre ferme, des groupements à grandes herbes.

Dans les sols très humides ou marécageux de basse altitude, se développent des aulnaies marécageuses, des aulnaies d’embouchures et plus rarement (essentiellement sur la plaine orientale) des peuplements de chêne pédonculé sur alluvions bien hydromorphes. Des ormaies relictuelles subsistent parfois dans les espaces agricoles adjacents aux aulnaies, fortement dégradés et fréquentés par le bétail.

Les rives des fleuves et cours d’eau sont souvent propices à la formation de ripisylves qui soulignent admirablement les fonds de vallées ou de vallons d’un ruban forestier. Le plus souvent il s’agit d’aulnaies où dominent l’aulne glutineux et quelques espèces de saules, mais l’on trouve également des ripisylves à frêne et peuplier au niveau de la plaine orientale et dans le Cap Corse. Des saulaies pionnières peuvent s’installer sur des alluvions grossières et instables (galets, cailloux) régulièrement remaniées par les crues. De l’étage montagnard supérieur jusqu’à l’étage alpin, les essences arborées sont absentes mais l’aulne odorant peut participer des groupements végétaux qui bordent les torrents ou les sources.

Sur les rives des étangs et marais salés ou saumâtres, les sols présentent généralement des teneurs en sel non négligeables. Aussi sont-ils colonisés par des cortèges d’espèces dites hygrohalophiles, dont la plupart sont des plantes succulentes, notamment les salicornes et limonium. Divers groupements se succèdent en fonction de la durée d’inondation et des concentrations en sel : groupements à salicornes annuelles, salicornes rampantes ou arbustives, groupements de prés salés où dominent les joncs et graminées. La plupart de ces formations animent le paysage par la variation de leurs couleurs au fil des saisons ; la période la plus spectaculaire étant l’automne où les tapis de salicornes prennent des teintes qui vont du roux à l’orangé en passant par le rouge vif.

Mares temporaires méditerranéennes

Assez fréquentes dans le sud de l’île à basse altitude (étages thermoméditerranéen et mésoméditerranéen inférieur), mais également présentes dans le massif littoral de l’Agriate, ces petites zones humides correspondent à de petites dépressions naturelles (ou parfois plus ou moins artificielles) isolées du système hydrique général. Sur le substrat généralement imperméable se forment des mares temporairement inondées une partie de l’année (en général de l’automne au printemps) par l’eau de pluie. Le même phénomène peut se produire plus rarement sur un sol calcaire par remontée de la nappe phréatique.

Ces mares méditerranéennes constituent des écosystèmes très singuliers, riches en diversité biologique mais aussi très fragiles. Elles abritent des espèces végétales et animales originales, car remarquablement adaptées à l’alternance sécheresse-inondation. Sur le plan paysager, elles forment des enclaves qui par la présence d’eau ou la nature de leur végétation, tranchent sur les étendues de maquis ou de prairies qui les entourent. Cependant, leur faible superficie et leur isolement au sein de formations plus hautes rend la présence des mares discrète dans le paysage.

Pozzines (zones humides d’altitude : voir le paragraphe traitant de l’étage subalpin)

Références :

L’aspect de la végétation et des milieux naturels ayant été très bien traité dans les ouvrages suivants, dont les lignes qui précèdent s’inspirent largement, nous recommandons vivement leur consultation pour de plus amples informations.

Gamisans J., La Végétation de la Corse. Edisud, 1999

Gamisans J., Le Paysage végétal de la Corse. Albiana, 2010.

Collectif, La Corse. Une île-montagne au cœur de la Méditerranée. Delachaux et Niestlé, 2002.

L’espace signifié : du village aux confins du territoire habité

Considérons cet élément minuscule qui ne constitue qu’un point à l’échelle du maillage paysager : le village, lieu de sociabilité à partir duquel se structure la représentation d’un monde autour de l’habitant. En Corse, comme partout ailleurs, l’homme découpe et ordonne l’espace, l’occupe sans le modeler et la langue, qui renvoie au « mot-motif » encore utilisé, contribue à donner sens à une réalité.

L’espace traditionnel de vie communautaire sur l’île a pour centre le village situé dans la montagne. Il se structure de manière concentrique, autour de la maison (a casa), du groupement des maisons (u paese), des jardins et terres cultivées (u circulu). On trouve ensuite a campagna (les terres non cultivées) jusqu’aux limites des terres communales (a confine). Le village n’est pas seulement un agrégat de maisons, mais possède son autonomie et ses équipements propres : fontaine, école, chapelle, commerces et café.

Le besoin d’investir l’ensemble du paysage visible se manifeste jusqu’aux limites de « l’ailleurs ». Tout lieu est identifié, réellement ou symboliquement, en référence à une pratique, ou par le biais de métaphores qui renvoient à l’imaginaire. Ainsi, même les territoires que constituent a campagna (les espaces non cultivés encore naturels) et a confine (les zones de confins), au-delà de l’aire d’influence du village, sont porteurs de sens. En ces lieux, seuls les hommes s’aventurent car c’est le lieu des mazzeri, mortuloni, streie, esprits, revenants et sorcières. L’espace est ainsi pensé sous toutes ses formes et dans tous ses aspects. Il est signifié jusqu’aux limites des vallées, depuis la cime des montagnes jusqu’au bord de mer, comme configuré sur la carte de a spalla. Et c’est la topographie de l’île qui permet sans doute cette perception du sentiment d’étendue. On trouve ainsi des mots qui traduisent la vision entière de l’œil : « a visa d’ochju » (à vue d’œil), « da alture » (d’en haut), « a sbalura » (la vue porte souvent très loin). Mais aucune valeur esthétique n’est portée sur ces paysages, de l’ordre du « beau panorama ».

On observe aussi la perception persistante d’une morphologie du territoire, celle que traduit le relief. Un grand nombre de qualificatifs témoignent des accidents de terrains : « elpa » (falaise, paroi rocheuse), « calanca » (masse rocheuse abrupte), « cavone » (espace escarpé), « pinzuta » (rochers), « tieghja », (pierres), etc., en ce que la montagne est riche en aspérités, et peu de qualificatifs pour nommer le plat, la plaine, le littoral (a piaghja). Dès que l’on doit situer un lieu, c’est toujours en référence entre les deux points extrêmes que constituent la mer et la montagne. On énonce ainsi : « Chidazzu hè più piaghja cà muntagna » (Chidazzu est plus en bord de mer qu’en montagne) ; « più muntagna » (plus montagne) ; ammuntagnà (monte à l’estive) ; impiaghjà (se rendre sur les basses terres)…

La perception du paysage du territoire de la vallée est entière, au-delà de l’espace pratiqué mais toujours fragmentaire et particularisée. Et c’est à partir de la reconnaissance de chaque élément, fragment lui-même d’un territoire plus vaste, et du jeu de renvoi de l’un à l’autre, que se met en place la carte sensible du territoire. La représentation de l’espace local est ainsi constituée de fragments. Peu importe la valeur des images qu’on lui attribue, cet espace structure le monde sensible sans lequel la représentation de l’île ne pourrait exister.