Atlas des paysages

de la Corse

1.07 - Massif de Bavella - Cuscionu

Les communes de l'ensemble paysager

Chisa, Quenza, Zicavo, Solaro, Aullene, Serra-Di-Scopamene, Sari-Solenzara, Conca, Zonza, Cozzano

Cet ensemble de reliefs de la Corse méridionale compte deux hauts lieux paysagers : le plateau du Cuscionu et les aiguilles de Bavella (ou d’Asinao). Deux sites qui dans leur absolue singularité, illustrent la richesse exceptionnelle des formes et des ambiances de la montagne insulaire. En rabotant les montagnes, l’érosion glaciaire a créé sur le Cuscionu un paysage de haut plateau unique en Corse. Cette vaste étendue de landes, de pelouses et de roche nue, qui s’élève à une altitude moyenne de 1500 mètres, est rythmée par de longues ondulations du relief, protégeant des vallons humides où se sont formées des pozzines (1).

Quelques promontoires chaotiques, s’élevant jusqu’à 200 mètres au-dessus du plateau (Castellu d’Ornucciu, Punta di Tozzarella…), et d’innombrables amoncellements de boules de granite contribuent également à animer le paysage. Les crêtes et sommets qui surélèvent les bords du Cuscionu atteignent 1700 mètres à l’ouest et jusqu’à 2134 mètres au Monte Incudine – l’Alcudina, l’« enclume » (2,3-la partie nord du plateau du Cuscionu s’élève doucement jusqu’au Monte Incudine ; ce dernier, bien que point culminant du sud de la Corse, est à peine marqué dans le paysage ; et derrière les chaos granitiques émergent en second plan les pointes déchiquetées des aiguilles de Bavella (Asinao)).

Cette structure du bassin versant explique sa richesse hydrographique : les eaux s’écoulant depuis la périphérie forment une multitude de ruisseaux qui arrosent le plateau, avant de s’échapper vers le nord (pour rejoindre le Travu), le nord-ouest (où ils alimenteront le Taravu) ou le sud (en allant grossir les eaux du Rizzanese). On ne saurait non plus compter les sources qui jaillissent au cœur même du Cuscionu. Cette omniprésence de l’eau explique l’aspect verdoyant du paysage, malgré l’extension de la végétation sèche de type steppique (4).

L’originalité du site tient aussi à la diversité de ses milieux naturels. Différents écosystèmes y coexistent sans perdre leur caractère propre : les forêts et bosquets de hêtres dans la partie nord du plateau (5) ; l’aulnaie odorante ponctuée de bouquets d’érables dans les zones les plus fraîches ; et aux creux des vallons, les pelouses humides et tourbeuses des pozzines – les plus vastes de l’île –, avec leur chevelu de cours d’eau peuplés de truites et de batraciens endémiques, qui contrastent avec les fruticées naines, d’apparence semi-désertique, dominant dans la partie sud du Cuscionu (6,7).

Il en résulte une grande diversité d’ambiances paysagères qui se côtoient, se répondent visuellement ou se mélangent. Pour peu que la lumière s’y prête, en fin de journée ou les jours de brouillard, et ce décor de landes et de chaos granitiques se transforme en une steppe onirique que l’imaginaire peuple de châteaux en ruines et de créatures pétrifiées. Dès la fin de l’été, les pelouses d’altitude commencent à jaunir et avec l’arrivée de l’automne l’oasis verdoyant se transforme en steppe froide (8,9).

La sauvegarde de ces paysages d’exception constitue un enjeu majeur. Malgré l’altitude et l’isolement géographique, le Cuscionu a subi la pression multiséculaire de l’agropastoralisme. Hier région d’élevage ovin et caprin, elle accueille aujourd’hui des porcins qui y transhument en nombre dès le mois de juin, et des bovins y pâturent. Au sud du plateau, les brûlis répétés, accentuant l’érosion des sols, ont fragilisé la maigre couche de végétation qui laisse apparaître çà et là le substrat rocheux sous forme de boules, de dalles polies ou d’arènes granitiques. Dans ce secteur des essais de plantations d’espèces arborées (majoritairement des essences non présentes en corse naturellement) en vue d’une valorisation forestière se sont soldées par un échec, et les traces de ces plantations trop rectilignes marquent encore les paysages. Les pelouses humides et les pozzines souffrent du piétinement et du fouissage des animaux qui détruisent la couche de végétation herbacée. De même, la hêtraie vieillissante au nord du plateau a beaucoup de mal à se régénérer sous la forte pression du pâturage. D’une manière générale, dans ces espaces ouverts il convient de bien évaluer les impacts des aménagements agropastoraux ou autres, et d’éviter toute banalisation des milieux en soignant les interventions. Tranchant avec la relative douceur et les molles ondulations du plateau, se détachant d’une haute crête de granite rouge, se dressent à l’est les trois aiguilles de Bavella – Acellu, Ariettu, a Vacca –, dites aussi « cornes d’Asinao ». Bien que d’une altitude relativement modeste (1611 mètres au point le plus haut), ces pics effilés, tout en verticalité vertigineuse, s’élancent vers le ciel comme pour le déchirer (10).

Entre les falaises de roche dure d’étroits et profonds ravins ouvrent des abîmes non moins vertigineux. Des pins laricio séculaires s’accrochent aux murailles de cette forteresse minérale où seuls les mouflons se meuvent à leur guise. Ces montagnes somptueuses, l’une des merveilles de la Corse, savent elles aussi jouer avec les brumes ou les changements de lumière pour offrir un kaléidoscope de couleurs et d’ambiances : sous les rayons obliques du soleil couchant, les rouges virent à l’ocre ou à l’indigo, les ombres devenues plus denses donnent aux rochers des formes insolites, tandis que les silhouettes des pins s’animent sur les falaises. Le site de Bavella est protégé par son classement au titre de la loi de 1930 ; il ne coure en fait guère de dangers, hormis le risque de feu et celui d’une surfréquentation touristique. Mais les voies de pénétration sont peu nombreuses. Au sud, entre les aiguilles et les crêtes de Calanca Murata, le Col de Bavella (1218 m), franchi par la D268, débouche sur le vallon boisé du ruisseau de Renaju puis du ravin de l’Ospedale. En montant vers le col, la sensation n’est pas celle d’une ouverture du paysage : sur les deux rives de la route les futaies rectilignes de larici ferment les perspectives, et lorsqu’une clairière entrouvre cet univers végétal, le regard reste « cerné » par le proche horizon minéral, le cercle majestueux des aiguilles, falaises et dalles rocheuses (11,12).

Les vallées d’Asinao, de la Luvana et de Tova s’insinuent entre ces deux entités fortes, antagonistes et complémentaires à la fois, que sont le plateau du Cuscionu et les aiguilles de Bavella. Ces vallées sauvages, profondément encaissées, descendent de part et d’autre de la ligne de crêtes et de séparation des eaux qui relie le Monte Incudine à la Punta Tintennaja (2018 m), la Bocca d’Asinao (1675 m) et la Punta Muvrareccia (1899 m). Celles de Luvana et de Tova, orientées vers le nord-est, sont très boisées et peu fréquentées car sans accès routier, sauf dans la partie basse à l’aval de la confluence avec le Travu : le petit village isolé de Chisa est relié à la plaine orientale par la D645 qui suit la vallée mitoyenne du Travu, un cours d’eau formant dans ce secteur des gorges propices aux activités de canyoning (13). La vallée d’Asinao, de son côté, s’écoule vers le sud et l’Alta Rocca ; moins densément boisée du fait de son exposition, elle est également plus fréquentée car desservie par le GR20 et des pistes forestières (14-La vallée d’Asinao, entre le plateau et les aiguilles, vus depuis l’ensemble de l’Alta Rocca au sud).

Références bibliographiques

C. Panaïotis, M. El-Melik, L. Hugot, Guide pratique d’aménagement des fruticées montagnardes de Corse, 2011.

Bloc diagramme 3D

Sources - IGN / Ortho HR Janvier 2021 / RGE Alti 2020

1.07

A - Plateau du Cuscionu

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Unités paysagères

Au-dessus de la hêtraie, le plateau n'est que vallonnement herbeux parsemé de blocs arrondis. Ce qui étonne c'est la nature de cette pelouse : ces prairies qui recouvrent comme d'un grand manteau vert la surface d'un plateau sont en quelque sorte tissées d'un gazon très fin de thym, de serpolet, de menthe. Les racines de ces plantes s'entrelacent de telle manière qu'elles forment un tissu moelleux et impénétrable de vingt-cinq à trente centimètres d'épaisseur (…) En prêtant l'oreille, on entend par endroits le bruissement des eaux au-dessous de la prairie.

Gaston Vuillier, 1893

Depuis le sommet des collines ou des îlots d’amas rocheux les vues embrassent une grande partie du plateau. Les paysages sont très ouverts, sans limites visuelles fixes, ce qui est rare en Corse.

La lande, les chaos rocheux, le climat sujet à de fréquents brouillards et à des vents souvent violents, les écarts de température journaliers, les brusques changements de lumière, et l’hiver, l’épais manteau neigeux qui couvre le plateau jusqu’au retour des beaux jours, tout concoure à transporter le visiteur dans une atmosphère qui évoque des latitudes plus hautes et plus rigoureuses.

Les énormes blocs de roche aux formes variées, polies par l’érosion, évoquent des ébauches de sculptures abandonnées.

La présence des nombreux îlots de granite rompt la monotonie des étendues « steppiques » du plateau.

Ces chaos rocheux forment également les crêtes et versants qui bordent le plateau.

La partie nord du plateau du Cuscionu s’élève très progressivement en une succession de douces crêtes mamelonnées jusqu’au Monte Incudine. Dans ce secteur les formations granitiques sont moins caractéristiques, cependant de magnifiques hêtraies viennent enrichir les paysages.

1.07

B et C - Vallée d’Asinao & Vallée de la Luvana et Tova

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Unités paysagères

Ces deux vallées d’altitude, dominées par la pyramide du Monte Incudine, s’intercalent entre le Cuscionu et le massif de Bavella La profonde échancrure du vallon de l’Asinao sépare deux paysages de montagne très différents : face aux spectaculaires aiguilles de Bavella, le plateau du Cuscionu présente les doux chaos de son revers. Les versants sont occupés par des landes d’altitude et des pâturages, la forêt se cantonnant en fond de vallée. Quelques bergeries témoignent de l’activité pastorale.

Partagés en amont par les crêtes du Monte Malo (1850 m), les vallées de Luvana et de Tova-Cipriosa se rejoignent à l’aval, correspondant au bassin supérieur du Travu. Au pied de la Punta Tintennaja et de l’Incudine, l’ambiance montagnarde de la partie haute ne diffère guère de celle de l’Asinao, si ce n’est par la présence plus marquée de la forêt.

1.07

D - Massif de Bavella

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Unités paysagères

Les futaies de pins laricio, plus ou moins denses, montent à l'assaut des sommets les plus élevés, les habillant de leurs longs troncs blancs parfaitement rectilignes. Ces verticales accentuent l'impression de hauteur de ces sommets lointains. Elles donnent aussi le vertige sur les proches versants abrupts

Vers une charte paysagère sur la communauté des communes de centre corse, Parc naturel régional de Corse.

Entre la Punta di Buccarona, à l’aval, et le col de Bavella perché à 1218 mètres d’altitude, la haute vallée de la Solenzara est flanquée de deux massifs déchiquetés de granite rose. La muraille qui ferme la vallée au nord culmine à 1611 mètres aux aiguilles de Bavella : ce célèbre ensemble de hautes crêtes et de pics déchiquetés s’impose de très loin dans le paysage, servant de signal aussi bien pour la partie sud de la côte orientale que pour l’Alta Rocca sur l’autre versant de l’île. Il fait partie des sites naturels de Corse les plus photographiés.

Dues au travail du gel à haute altitude, les fissurations du granite alcalin de Bavella, une roche particulièrement résistante, ont donné la découpe en lames anguleuses caractéristique des aiguilles. Ces reliefs élancés contrastent avec les formes plus molles du massif de l’Incudine et le plateau du Cuscionu, constitués de granites plus altérables. En pleine lumière, les montagnes de Bavella, avec leur végétation de bonzaï, prennent parfois des allures d’estampe japonaise. Mais ces gigantesques sentinelles de roche nue s’enveloppent souvent de brouillards qui leur confèrent une silhouette mystérieuse et fantomatique.

Si le minéral est roi sur les hauteurs de Bavella, les pins laricio sculptés par le vent composent avec lui de somptueux tableaux. Ils forment également l’essence dominante des forêts domaniales de Bavella et de Sambucu, qui couvrent les versants de la vallée. Ce massif forestier protégé par les forteresses rocheuses est aussi riche de feuillus (chêne vert, frêne, érables…) et de résineux divers dont certains introduits (épicéas, mélèzes). La RD268 qui remonte vers le col de Bavella, en serpentant au-dessus des gorges de la Vacca, offre de belles possibilités de découverte de ces paysages exceptionnels ; tout comme sur un mode pédestre, les deux branches du GR20 passant sur les versants ouest et est des aiguilles.

Motifs & Enjeux

Aucune donnée définie dans l'atlas
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Motifs & Enjeux